Le tribunal de Ziguinchor a annulé la radiation de l’opposant des listes électorales. Une décision contestée par les avocats de l’Etat, qui ont annoncé un pourvoi devant la Cour suprême.
Lors d’une manifestation en faveur de l’opposant sénégalais Ousmane Sonko, à Paris, le 19 août 2023. KIRAN RIDLEY / AFP
L’électricité était coupée dans le tribunal de Ziguinchor, la principale ville de Casamance, quand la nouvelle est tombée, jeudi 12 octobre au soir. En s’éclairant avec la lampe de son téléphone portable, le juge a annoncé qu’il annulait la radiation des listes électorales de l’opposant Ousmane Sonko, par ailleurs maire de cette ville sud du Sénégal, et a ordonné aux services compétents de l’Etat de l’y rétablir.
Le leader des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), parti dissout le 31 juillet, avait été retiré du fichier électoral après avoir été condamné à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse » dans une affaire où il était accusé de viols. Une décision que son camp a toujours contestée.
Le 29 septembre, le député du Pastef Ayib Daffé n’avait pas pu récupérer auprès de la Direction générale des élections (DGE) les fiches de parrainage, essentielles pour récolter les soutiens nécessaires afin que la candidature d’Ousmane Sonko à l’élection présidentielle de février 2024 soit validée. Quelques jours plus tard, le 6 octobre, la Cour suprême avait également rejeté la requête des avocats de l’opposant, qui demandaient que lui soit reconnu le droit de récupérer ces fiches de parrainage.
« Soulagement »
« Cette fois-ci, c’est un beau jugement qui montre qu’il existe des juges libres et indépendants sur lesquels nous pouvons compter pour redonner un souffle à la démocratie », commente un des avocats d’Ousmane Sonko, Bamba Cissé, convaincu qu’il pourra participer au prochain scrutin présidentiel. « Il est de nouveau éligible et son mandataire retournera bientôt à la DGE pour récupérer ses fiches de parrainage », renchérit Joseph Etienne Ndione, un autre avocat, qui précise qu’au préalable l’Etat doit exécuter et mettre en application cette décision de justice.
Très rapidement, la décision du juge s’est répandue dans Ziguinchor. Des foules de sympathisants sont sortis dans les grandes artères de la ville jusque tard dans la nuit et ont convergé vers la maison d’Ousmane Sonko, pourtant emprisonné à Dakar depuis fin juillet dans une autre affaire où il est inculpé, entre autres, d’« appel à l’insurrection ». « Cela a été un soulagement, nous avons le sentiment que le droit a été dit, explique Bassirou Coly, responsable des jeunes du Pastef à Ziguinchor. Des milliers de gens ont voulu lui montrer leur soutien. C’est un bon signe pour la suite, le peuple est derrière lui. »
Pourtant, du côté du pouvoir, l’interprétation de cette décision de justice est plus mitigée. « Pour l’instant, Ousmane Sonko ne peut être réintégré dans les listes électorales », a rétorqué, par voie de communiqué, l’agent judiciaire de l’Etat, qui dénonce une audience qui « s’est tenue dans des conditions indignes d’un procès équitable ».
La séance, qui a duré treize heures, s’est déroulée dans une ambiance électrique. La journée a commencé par des tirs de gaz lacrymogène pour éparpiller les sympathisants venus en masse apporter leur soutien à Ousmane Sonko aux abords du tribunal. « L’accès nous a été interdit, il y a eu quelques échauffourées », témoigne Seydou Mandiang, coordinateur adjoint du Pastef dans la capitale casamançaise.
« Précipitation »
A l’intérieur de la salle d’audience, Me Cissé se désole de « conditions pénibles ». « L’agent judiciaire de l’Etat a voulu mettre beaucoup de pression sur le juge en disant qu’il avait des liens de parenté avec un adjoint au maire de Ziguinchor, aussi membre du Pastef… Comme si les familles étaient uniformes politiquement ! Il a donc déposé dans la soirée une demande de récusation alors que les avocats étaient en train de plaider », raconte l’avocat, pour qui ces arguments ne sont pas un motif de récusation. Il dénonce le non-respect de la procédure.
« Le juge est le frère du seizième adjoint au maire, un militant de l’ex-Pastef. Il aurait dû laisser le dossier à un autre magistrat, justifie Adama Fall, avocat de l’Etat. Et après treize heures d’audience et les plaidoiries de 20 avocats, nous avons été surpris de voir que le président a donné sa décision dans la précipitation, en cinq minutes. » Les avocats de l’Etat ont déclaré « ne pas être satisfaits du jugement » et ont annoncé un pourvoi devant la Cour suprême. « Pour l’instant, Ousmane Sonko ne peut être réintégré dans les listes électorales », a indiqué dans un communiqué le représentant de l’Etat à l’audience.
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