En Guinée, le domicile privé est inviolable et le droit de propriété est garanti par la loi. Nul ne peut être exproprié si ce n’est pour une cause d’utilité publique, après une juste et préalable indemnité.
Il est important de noter que les biens appartenant à l’État relèvent soit du domaine public (routes, cimetières, marchés, bases militaires, sous-sol, etc.), soit du domaine privé (bâtiments d’habitation, véhicules de l’administration, les mobiliers de bureau, etc.).
Les biens du domaine privé sont soumis au régime du droit privé et d’ailleurs les bâtiments appartenant à l’État doivent être immatriculés au Livre Foncier au même titre que les bâtiments appartenant à un simple citoyen.
Si les biens de l’État relevant du domaine public sont inaliénables et imprescriptibles, ceux du domaine privés peuvent faire l’objet de vente, de dons, de cessions temporaires en accord avec la loi.
Pour justifier les actes d’expropriation engagés par le CNRD contre Sidya Touré et Cellou Dalein Diallo, le ministre de l’habitat a parlé du manque d’éthique ou de l’immoralité de l’acquisition de ces domaines. Selon lui, la loi seule ne suffirait plus pour justifier la récupération des domaines appartenant à ces deux personnalités politiques, il faut aussi user de la moralité. Pour lui, on ne peut être à la fois vendeur et acheteur. Il sous-entend ainsi que ces deux personnalités auraient profité de leurs positions pour mettre à leur profit des biens appartenant à l’État.
On peut bien concéder à Monsieur le ministre, la perception du manque d’éthique dans ces cas. Cependant, ce n’est pas parce qu’un acte est immoral qu’il est illégal. D’ailleurs, la perception de ce qui est éthique ou immoral peut varier selon les milieux et les époques.
Lorsqu’un acte est immoral ou contraire à l’éthique, c’est à l’État d’établir une règle de droit pour l’interdire ou le réglementer. Donc c’était à l’État d’interdire aux hauts cadres de l’administration d’acheter des biens relevant du domaine privé de l’État pour mettre fin à une pratique qui serait contraire à l’éthique.
Ceci dit, on ne peut pas opposer des règles juridiques à un acte qui est simplement contraire à l’éthique même s’il est odieux. Si par exemple, la loi n’interdisait pas à un citoyen d’épouser sa mère, s’il le faisait quelle que soit l’ignominie de l’acte, l’État ne pourrait pas le condamner.
On est d’accord que la perception du conflit d’intérêt devrait pousser surtout ceux qui occupent des hautes responsabilités d’éviter de s’engager dans certaines transactions même si elles ne sont pas juridiquement condamnées. Cependant, si l’État ne les a pas interdites, ce même État ne peut rien sinon constater une faiblesse ou un vide juridique à combler pour le futur.
Maintenant, si dans le processus d’acquisition de ces terrains qui relevaient du domaine privé de l’État, les acquéreurs avaient agi illégalement, l’État peut engager une action judiciaire contre eux. Cela aurait dû être fait à l’amont surtout pour une junte qui a annoncé vouloir faire de la Justice sa boussole.
Par ailleurs, je trouve bizarre la déclaration du ministre Ousmane Gaoual Diallo à la RTG qui justifie ces évictions comme s’inscrivant dans le cadre du recensement des domaines de l’État. A-t-on besoin de vider les gens de leur domicile pour pouvoir compter leur maison ? En plus, il dit qu’après le recensement, ils feront la part des choses en vérifiant les documents et les preuves qui seront fournis afin de rétablir chacun dans ses droits.
N’est-ce pas par cela qu’ils auraient dû commencer ? Demander aux acquéreurs de fournir les documents avant de prendre des mesures qui enveniment la situation.
Finalement, pour éviter tout risque de politisation de cette récupération des ‘’domaines de l’État’’, l’État aurait dû transférer à la justice tous les cas suspects qu’ils auraient identifié et laisser le soin à celle-ci la responsabilité de s’en occuper. Dans ce cas-ci, le CNRD ou l’État aurait donc simplement dû porter plainte contre Sidya et CDD devant la justice qui sert de boussole au CNRD.
La boussole est-elle en panne ou bien c’est parce que le CNRD saurait qu’il n’a aucune base juridique et aucune justification légale sur laquelle reposent ses derniers actes ? On ne gère pas un pays sur la base des rumeurs ou des humeurs. Les actes de l’État ont des conséquences politiques, sociales et peuvent l’exposer aussi à des poursuites judiciaires.
L’autre facteur non négligeable est la conséquence économique des actions de l’État. L’activité économique était déjà au ralenti du fait de l’instabilité politique suite à la modification constitutionnelle et le troisième mandat et aussi du coup d’État qui en avait résulté. Il serait suicidaire pour le CNRD d’aggraver une situation précaire par des actes inopportuns. Il ne faut surtout pas occulter le fait que lorsque l’État ignore les textes de loi et se comporte comme un hors-la-loi, ces actions peuvent décourager les potentiels investisseurs, les hommes d’affaires qui opèrent déjà dans le pays et les institutions sur lesquelles il compte pour financer ses activités.
Il ne faut pas que le CNRD ronge ses propres piliers et créent des conditions qui peuvent favoriser son déclin.
Abdoulaye J Barry
Conakry, Guinée