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Saturday 23 November 2024

Me Kpana Emmanuel BAMBA: « Le droit à la nationalité des personnes physiques en droit positif guinéen. »

Par Maître Kpana Emmanuel BAMBA
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Général Lansana CONTÉ de Sonfonia-Conakry
Avocat au Barreau de Guinée
Conseil adjoint inscrit à la Cour pénale internationale
Président de la Ligue Guinéenne des Droits de l’Homme (LIGUIDHO)

Introduction

Le législateur guinéen n’a pas défini ce qu’on entend par la nationalité. On peut donc la définir comme le lien juridique et politique qui unit une personne à un État. À cette conception juridique de la nationalité, s’oppose une conception sociologique. La nationalité exprime alors le lien d’un individu avec une nation, c’est-à-dire une communauté de personnes unies par des traditions, des aspirations, des sentiments ou des intérêts communs.

La nationalité est aussi confondue avec la notion de citoyenneté. Mais force est de reconnaître des nuances importantes dans leur signification. Le terme « citoyenneté », notamment, a des connotations de participation et d’exercice de droits civils et politiques qui ne sont pas portées par le mot « nationalité.» Toutefois, le droit international contemporain a recours à ces deux notions de manière interchangeable pour désigner le lien juridique entre un individu et un État.

Le droit à la nationalité est l’un des droits fondamentaux de l’Homme. Ce droit est consacré par d’importantes conventions internationales et africaines auxquelles la République de Guinée est partie comme la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 (article 15), la Convention sur la réduction des cas d’apatridie de 1961 (article 1er), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 (article 24), la Convention internationale relative aux droits de l’enfant de 1989 (article 7), sur le plan africain par la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant de 1990 (article 6 ) et le Protocole à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples relatif aux droits de la femme en Afrique de 2003 (article 6), appelé Protocole de Maputo.

En droit positif guinéen, le code de la nationalité est contenu dans la loi L/2019/0035/AN du 4 juillet 2019 portant Code civil de la République de Guinée, en ses articles 50 à 179.

La possession d’une nationalité implique des avantages tels que le sentiment d’appartenance à une nation et la pleine jouissance des droits y afférents. Cependant, à côté de ces droits, il y a aussi des devoirs.

La présente réflexion a pour objectif de participer aux débats quotidiens sur la notion de nationalité et démontrer l’égalité des citoyens guinéens devant la loi en ce moment difficile de l’histoire de notre pays marquée par une crise sociopolitique, étant surtout entendu que l’on a commencé à utiliser ce concept de nationalité et ou celui d’étranger à tort et à travers en les vidant de tout leur contenu.

En tenant compte du sujet qui nous préoccupe, nous n’aborderons pas ici les conditions de perte et de déchéance de la nationalité guinéenne, mais, il sera simplement question de traiter de la détermination de la nationalité guinéenne des personnes physiques (I) et de ses effets (II).

I- La détermination de la nationalité guinéenne des personnes physiques

La nationalité guinéenne peut être attribuée ou acquise en raison du droit du sang (jus sanguinis) ou du fait d’être né en Guinée (jus soli : droit du sol), sous certaines conditions. On peut donc déterminer la nationalité guinéenne par la filiation ou par la naissance sur le territoire guinéen (A) ou encore par la naturalisation ou la réintégration dans la nationalité guinéenne (B).

A- La détermination de la nationalité guinéenne en raison du jus sanguinis ou du jus soli

1- La nationalité guinéenne en raison de la filiation : jus sanguinis

Il ressort du Code civil guinéen que tout individu est guinéen en raison de sa naissance d’un parent guinéen. (Ex : Est guinéen, celui qui est né d’un père ou d’une mère de nationalité guinéenne). Ainsi, il résulte des articles 56 et suivants du Code civil que tout individu né d’un père ou d’une mère de nationalité guinéenne est guinéen qu’il soit enfant naturel (celui dont les parents ne sont pas mariés) ou enfant légitime (celui dont les parents sont mariés).

La détermination de la nationalité guinéenne en raison de la filiation comporte deux aspects : la filiation d’origine (naissance d’un parent guinéen) et la filiation adoptive. D’après les articles 420 et suivants du Code civil, l’adoption peut être plénière ou simple.

La filiation résultant d’une adoptive plénière emporte de plein droit l’attribution de la nationalité guinéenne à l’enfant adopté. Ex : Un enfant étranger adopté de façon plénière par un Guinéen, a les mêmes droits et obligations que l’enfant légitime, par conséquent, il a automatiquement la nationalité guinéenne.

Tandis que l’adoption simple n’emporte pas l’attribution automatique de la nationalité guinéenne. Il faut donc remplir d’autres conditions supplémentaires comme la déclaration de nationalité pour pouvoir acquérir la nationalité guinéenne.

2- La détermination de la nationalité guinéenne en raison de la naissance en Guinée : jus soli

Le Code civil guinéen énumère les cas d’attribution et d’acquisition de la nationalité guinéenne en raison de la naissance sur le territoire guinéen.

Par exemple, l’article 58 de ce Code prévoit que : « Est Guinéen, l’enfant né en Guinée de parents inconnus, apatrides ou étrangers si, à sa naissance, il ne pouvait bénéficier d’aucune autre nationalité. » Aussi, aux termes de l’article 59 du même Code, « L’enfant nouveau-né trouvé en Guinée est présumé guinéen, jusqu’à preuve du contraire. » Cet article ajoute que « Tout enfant trouvé en Guinée et qui n’est pas en mesure de fournir des informations précises sur l’identité de ses parents ou leur lieu de résidence est également présumé guinéen jusqu’à preuve du contraire.» Est également guinéen, selon les dispositions de l’article 60, « l’enfant né en Guinée lorsque l’un de ses parents au moins y est lui-même né

De même, est Guinéen, aux termes de l’article 74 du Code civil « Tout étranger né en Guinée de parents étrangers peut, à partir de l’âge de 16 ans, acquérir la nationalité guinéenne, à condition qu’il en manifeste la volonté, qu’il justifie d’une résidence habituelle en Guinée pendant les cinq années qui précèdent la manifestation de sa volonté et qu’il réside en Guinée à la date de celle-ci.»

En plus de ces modes de détermination de la nationalité guinéenne basés sur la filiation et le lieu de naissance, le Code civil guinéen prévoit d’autres modes qu’il convient d’examiner ci-dessous.

B- Les autres modes de détermination de la nationalité guinéenne des personnes physiques

L’individu qui ne peut pas devenir Guinéen en raison du jus sanguinis ou du jus soli, peut en devenir soit par la naturalisation ou la réintégration (1), soit par le mariage ou la déclaration de nationalité (2).

1- La possession de la nationalité guinéenne par voie de naturalisation ou de réintégration

La naturalisation est le fait d’accorder la nationalité guinéenne à un étranger qui en fait la demande. Elle est accordée par décret publié au Journal officiel de la République. Les conditions et la procédure de naturalisation sont prévues aux articles 86 à 97 et 141 à 147 du Code civil.

Quant à la réintégration dans la nationalité guinéenne, elle peut être définie comme le fait pour un Guinéen ayant perdu cette qualité d’en devenir à nouveau. Le Code civil la traite dans plusieurs de ses dispositions notamment ses 98, 119 à 125. En ce qui concerne la procédure de la réintégration, le législateur guinéen l’a assimilée à celle de la naturalisation prévue par les articles 141 et suivants du Code civil. La réintégration dans la nationalité guinéenne est donc accordée par décret publié au Journal officiel de la République.

Il convient d’aborder à présent la possession de la nationalité guinéenne par le mariage et la déclaration.

2- La détermination de la nationalité par le mariage et la déclaration

Aux termes de l’article 70 du Code civil « L’étranger ou l’apatride qui contracte mariage avec une personne de nationalité guinéenne peut, après un délai de 5 ans dont au moins 3 ans passés en Guinée à compter de la date du mariage, acquérir la nationalité guinéenne par déclaration, à condition qu’à la date de cette déclaration, la communauté de vie n’ait pas cessé entre les époux et que le conjoint guinéen ait conservé sa nationalité.

Toutefois, ce délai est ramené à 3 ans lorsqu’est né, avant ou après le mariage, un enfant dont la filiation est établie à l’égard des deux conjoints. »

C’est ainsi dire que le mariage à un Guinéen n’exerce de plein droit aucun effet sur la nationalité, selon les termes de l’article 69 du même Code.

Pour ce qui est de l’acquisition de la nationalité guinéenne par la déclaration proprement dite, elle est prévue aux articles 80 à 85 du Code civil. Elle concerne l’enfant mineur né en Guinée de parents étrangers et l’enfant qui fait l’objet d’une adoption simple qui peuvent devenir Guinéens par la déclaration de nationalité sous réserves de conditions supplémentaires à remplir par le déclarant qui sont prévues aux articles susmentionnés.

De plus, il ressort des dispositions de l’article 125 du Code civil que la déclaration en vue d’acquérir la nationalité « est souscrite, devant le président du tribunal de première instance dans le ressort duquel le déclarant a sa résidence. »

La nationalité guinéenne des personnes physiques étant ainsi déterminée, il convient d’en examiner ci-dessous les effets.

II- Les effets de la nationalité guinéenne des personnes physiques

Il sera question de parler ici des effets de la nationalité de façon générale étant précisé qu’il existe des effets qui sont spécifiques et qui sont traités dans certaines disciplines particulières. Ainsi, les effets de la nationalité guinéenne des personnes physiques sont relatifs aux droits (A) et aux devoirs du Guinéen (B).

A- Les droits du Guinéen

Les droits qui découlent de la possession du statut de guinéen concernent l’exercice des droits civils (1) et des droits politiques (2).

1- L’exercice des droits civils

Au sens du droit civil, entendons par les droits civils dans le sens général du terme comme le droit civil proprement dit, le droit commercial, le droit fiscal, le droit social, le droit à la justice, etc.

C’est ainsi dire que l’individu qui possède la nationalité guinéenne a le droit de conclure toute sorte de contrat dès lors que l’objet est licite comme le droit d’acheter les biens susceptibles d’être vendus, le droit d’exercer les actes de commerce, sous réserve de respecter scrupuleusement toutes les conditions de forme et de fond prévues par la législation en vigueur en la matière.

La possession du statut de guinéen permet aussi à son titulaire d’être protégé par la Guinée contre un autre État. Ex : Un Guinéen dont les droits fondamentaux sont violés à l’étranger par l’État de résidence a le droit de demander la protection de l’État Guinéen. Il en va ainsi des Guinéens qui subissent des traitements cruels, inhumains ou dégradants à l’étranger. Cette protection diplomatique peut aller jusqu’à l’initiative d’un procès par l’État guinéen contre l’État étranger devant une instance internationale comme la Cour internationale de justice de la Haye, Pays-Bas, (créée le 26 juin 1945 par la Charte des Nations Unies), Ex : l’affaire de feu DIALLO cravate ou devant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, basée à Arusha, en Tanzanie, en cas de violation des droits fondamentaux de ce Guinéen par un État tiers ayant ratifié la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (article 3 du Protocole relatif à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples portant création de la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, adopté à Ouagadougou, Burkina Faso du 8 au 10 juin 1998) ou au niveau sous-régional devant la Cour de justice de la CEDEAO, basée à Abuja, au Nigéria contre tout État partie au Traité révisé de la CEDEAO de 1993 (article 9 du Protocole relatif à la Cour de justice de la CEDEAO, adopté à Abuja, le 6 juillet 1991).

C’est également au nom de cette protection que l’État guinéen procède actuellement au rapatriement de certains guinéens bloqués à l’étranger à cause de la pandémie du Coronavirus (Covid-19).

Sur le plan interne, comme d’ailleurs toute personne vivant sous la juridiction de la République de Guinée, le national bénéficie de la protection de sa propre personne et de ses biens.

2- L’exercice des droits politiques

La nationalité a des effets sur le plan politique. Il s’agit des droits civiques en général comme le droit d’éligibilité, liberté d’opinion, etc. Ainsi, tout Guinéen doit jouir pleinement de ses droits politiques.

Toutefois, en ce qui concerne le Guinéen naturalisé, il est soumis à des restrictions temporaires comme l’écoulement d’un certain délai avant de jouir pleinement de certains droits de nature politique reconnus au Guinéen.

Par exemple, selon l’article 100 du Code civil, « Sous réserve de réciprocité, l’étranger naturalisé est soumis aux incapacités suivantes :

pendant un délai de 5 ans à compter de la date du décret de naturalisation, il ne peut être investi de fonctions ou de mandats électifs pour l’exercice desquels la qualité de Guinéen est nécessaire, sauf dispense expresse accordée par le Président de la République ;

pendant un délai de 3 ans à compter de la date du décret de naturalisation, il ne peut être électeur lorsque la nationalité guinéenne est nécessaire pour permettre l’inscription sur les listes électorales ;

pendant un délai de 3 ans à compter de la date du décret de naturalisation, il ne peut être nommé à des fonctions publiques rétribuées par l’État, inscrit à un barreau ou nommé titulaire d’un office ministériel. »

Il existe néanmoins des exceptions pour le Guinéen naturalisé qui a rendu des services importants et exceptionnels à la République de Guinée comme il résulte des dispositions des articles 101 à 104 du Code civil.

Étant donné que la possession de la nationalité guinéenne n’entraîne pas que des droits, il convient d’aborder à présent les devoirs liés à la qualité de Guinéen.

B- Les devoirs liés au statut de citoyen guinéen

De manière générale, les devoirs du citoyen se résument au respect des lois afin de vivre ensemble dans une société organisée. C’est l’assurance que la liberté, les droits et la sécurité soient garantis pour tous.

Ainsi, on retrouve les devoirs du citoyen guinéen vis-à-vis de l’État (1) et vis-à-vis de ses concitoyens (2).

1- Les devoirs du citoyen guinéen vis-à-vis de l’État

Les citoyens doivent respecter la loi et s’efforcer, grâce à une attitude civique, de la faire respecter. Ayant participé, par l’élection de leurs représentants, à l’élaboration des lois, les citoyens sont obligés de respecter les règles qu’ils se sont fixées. Le non-respect des lois peut constituer une faute qui peut générer de lourdes sanctions civiles ou pénales.

De plus, les devoirs du citoyen sont liés au service national et aux impôts.

Pour le service national, il peut s’agir de l’appel sous les drapeaux pour la défense de la sécurité nationale. Ainsi, les citoyens doivent participer à la défense du pays en temps de guerre, mais aussi en temps de paix.

En ce qui concerne les impôts, c’est la participation de chaque citoyen guinéen à l’effort commun indispensable pour financer les services publics. La police, la justice, les écoles, les hôpitaux, le ramassage des ordures sont au tant d’exemples de services qui nécessitent l’impôt. Ainsi, par leurs contributions fiscales, les citoyens participent au financement des charges de l’État au bénéfice de la communauté nationale.

2- Les devoirs du citoyen guinéen vis-à-vis de ses concitoyens

En tant que citoyen guinéen, chacun a le devoir de respecter les autres. Les devoirs des citoyens les uns envers les autres sont de nature juridique et morale. Chaque citoyen a le devoir de faire preuve de civisme et de civilité.

Ainsi, pour un meilleur vivre-ensemble, tout Guinéen est appelé à vivre en harmonie avec les autres en évitant de porter atteinte à son honneur, d’inciter par exemple à la haine, à la discrimination et à l’ethnocentrisme, tous agissements qui sont de nature à engager la responsabilité pénale de son auteur.

Pour finir, on peut retenir que « ne pas avoir de nationalité, c’est être marginalisé, ne pas trouver sa place.» En posséder, conformément au droit positif guinéen, doit permettre à son titulaire un exercice réel de ce droit avec toutes ses implications en Guinée et à l’étranger. L’assimilation de la notion de nationalité par tous est donc indispensable du point de vue juridique et social. Elle permettrait d’en connaître les enjeux et les défis. La stabilité, la cohésion sociale, la consolidation de la paix et le développement durable de notre pays en dépendent./.

Conakry, le 15 Août 2020

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