Dans la nuit du 3 au 4 août 2012 aux environs d’une heure du matin, les éléments des forces de défense et de sécurité lourdement armés à bord des véhicules et des camions appartenant à l’armée, à la gendarmerie et à la police guinéenne ont fait irruption dans le village de Zogota. Au cours de cette opération, plusieurs personnes ont été tuées et des dégâts matériels ont été aussi enregistrés. Ce dossier qui incriminant l’État guinéen qui doit désormais payer 4,56 milliards de francs guinéens pour un délai de six mois selon l’arrêt de la justice de la CEDEAO, est loin de trouver son épilogue.
Dans une interview accordée à notre rédaction, Me Pépé Antoine Lama du barreau de Guinée et l’un des avocats des victimes a fait croire que le dossier sera poursuivi jusqu’à ce que les personnes mises en cause répondent de leur forfaiture devant la loi.
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La Cour de justice de la CEDEAO a rendu publique son arrêt où l’État guinéen est coupable dans le massacre de Zogota. Comment les avocats des victimes ont accueilli cette décision ?
Me Pépé Antoine Lama: nous l’avions accueilli avec beaucoup de satisfaction et d’enthousiasme. Mais il faut dire que ce n’est qu’un début de justice puisque l’idéal est que ceux-là qui ont planifié et exécuté ce massacre dont certains sont d’ailleurs connus répondent devant la loi. Ce qui voudrait dire que, la décision de la Cour de justice de la CEDEAO ne clos pas ce débat dans le dossier de Zogota, mais ouvre plutôt la voie vers la justice. C’est cette véritable justice là que nous attendons. Ce ne sont pas les 4 milliards et quelques qui vont nous faire taire. Nous voudrions que les auteurs de ces crimes répondent de leur forfaiture devant la justice. Je rappelle qu’il y a cinq noms qui ont figuré dans l’ordonnance de transmission des pièces à la Cour d’appel de Conakry. Je veux parler des mise en cause dont certains sont déjà décédés et d’autres vivent encore. C’est pourquoi, je pense que l’État doit pouvoir rendre justice à ces pauvres populations dont le simple crime a été le fait de revendiquer leur bonheur.
Alors Me, dites-nous comment tout a été orchestré ?
Me Pépé Antoine Lama: il faut rappeler que dans la nuit du 3 au 4 août 2012 aux environs d’une heure du matin, les éléments des forces de défense et de sécurité lourdement armées à bord des véhicules et des camions appartenant à l’armée à la gendarmerie et à la police ont fait irruption dans le village de Zogota où ils ont semé pillage, désolation et tué même tous ceux-là qu’ils ont trouvé sur le chemin. Face à cette expédition punitive, nous avons assisté au mort d’homme. Cinq sur place et un sixième à l’hôpital. Des cases incendiées et des cas de coup et blessures volontaires. Mais aussi des cas d’enlèvement et de détention arbitraire au camp militaire de N’Zérékoré.
Alors le 23 août 2012, les victimes ont porté plainte au cabinet du doyen des jeunes associations du Tribunal de Première Instance de N’Zérékoré. Le doyen a émis des convocations qui n’ont pas été suivies d’effet. Des mandats qui n’ont pas été exécutés. Face à cette difficulté, il était dans l’obligation de prendre ce que nous appelons ordonnance de transmission de pièces au procureur général près la Cour d’appel de Kankan. Cette ordonnance qui date du 10 décembre 2014, n’a connue aucune évolution durant toutes les procédures. Nous avons.donc tenté par tous les moyens de relancer ce dossier mais sans succès. Finalement nous n’avions pas autre choix que de porter cette affaire devant la Cour de la CEDEAO pour multiples violations des droits de l’homme.
Dans la nuit du 10 novembre 2020, la Cour a reconnu la responsabilité de l’État Guinéen dans la violation du droit à la vie, à un recours effectif, d’arrestation et de détention arbitraire, du droit à ne pas être à un traitement cruel et à la torture humaine ou dégradant. Par conséquent, la Cour a alloué à chacune des six personnes tuées, une somme de 160 millions de francs guinéens. Et aux autres victimes, une somme de 240 millions. Ce qui fait au total 4,56 milliards de francs guinéens pour un délai de six mois d’exécution de cet arrêt et puis remonter le rapport. Nous sommes donc à l’attente, tout en espérant que la Guinée va respecter ses obligations communautaires parce qu’il faut le souligner de passage que les décisions de la Cour sont exécutoires et elles s’imposent à tous les États. Alors dans ces conditions, la Guinée ayant participé à la création et à l’installation de cette juridiction doit en bon droit se plier aux termes dudit arrêt.
Le débat avait commencé entre la société Valé et la population qui avait réclamé de l’emploi. Mais le problème s’est finalement transformé entre l’État habilité à protéger les citoyens guinéens et la population locale. Comment analysez-vous tout cela?
Me Pépé Antoine Lama : C’est ce que nous ne comprenons pas. Parce que le 31 juillet 2012, les habitants avaient organisé un sit-in pour revendiquer un premier emploi et une meilleure répartition des redevances d’une minière. Mais à notre étonnement, l’État a surpris les populations suite à une descente commando des agents de l’État et dont les conséquences ont été désastreuses.
Alors que la décision a déjà été prise par la Cour de la CEDEAO et vous vous dites qu’il faut juger les auteurs tenant compte des dégâts causés. Est-ce possible d’aller au delà de l’arrêt de cette juridiction ?
Me Pépé Antoine Lama:Écoutez! Ce ne sont pas des mêmes objets. L’objet de notre requête devant la Cour de la CEDEAO était de sanctionner l’État guinéen pour violation des droits de l’homme. Cette juridiction n’a pas la compétence à juger des individus ni les infractions. Le jugement des infractions et des personnes relève de la compétence des juridictions nationales. Une procédure était déjà en marche et elle doit connaître son épilogue devant les juridictions guinéennes. Ce qui a justifié la saisine de la Cour est le refus délibéré de la Guinée de bouger dans cette affaire.
Vous espérez obtenir justice dans un dossier qui a déjà quitté le pays pour l’extérieur ?
Me Pépé Antoine Lama:Nous pouvons effectivement espérer car la Guinée n’est pas sur une autre planète. Elle fait partie d’un environnement international juridiquement encadré notamment la CEDEAO qui prévoit des textes contraignant auxquels on peut recourir lorsqu’un État membre manque à ses engagements communautaires.
Vous êtes en contact avec les victimes de ce massacre, parlez-nous de leur quotidien ?
MePépé Antoine Lama:d’abord certains ont vu leurs champs pillées par les activités minières et d’autres ont été privés des personnes qui les supportaient, je veux parler de ceux-là qui ont été tuées dont leurs familles sont aujourd’hui à l’abandon. L’arrêt également des activités minières a impacté sur leur quotidien. Mais ils ont grand espoir que la Guinée va au moins s’exécuter volontairement du montant de la condamnation, ce qui pourrait les soulager en attendant la vraie justice qu’ils attendent impatiemment.
Votre message aux autorités du pays , à la justice guinéenne mais surtout aux populations victimes ?
Me Pépé Antoine Lama:Aux autorités exécutives de notre pays, je leur demande de s’exécuter de la décision qui vient d’être rendue publique par la Cour de justice de la CEDEAO. À la justice de prendre ses responsabilités en mettant en œuvre sa véritable indépendance. À mes clients de garder toujours patience car justice finira par triompher un jour.
Entretien réalisé par Robert Mellano pour lolaplus.org