Comme d’autres présidents et chefs de gouvernement, le président de la transition guinéenne, colonel Mamadi Doumbouya s’est attelé à l’exercice traditionnel à la tribune des Nations-Unies, ce jeudi 21 septembre 2023. Dans son discours, le dirigeant guinéen a mis un accent particulier sur la démocratie qu’il estime un mode de gouvernance imposé par l’accident sur les peuples africains.
Lolaplus vous propose un extrait…
« L’Afrique souffre d’un modèle de gouvernance qui lui a été imposé. Un modèle certes bon et efficace pour l’occident qui l’a conçu au fil de son histoire, mais qui a du mal à s’adapter à nos réalités, à nos coutumes, à notre environnement. Hélas la greffe n’a pas pris…, Je sais que lorsque je dis cela, tout de suite ils sont nombreux à se dire « encore un bidasse qui veut tordre le cou à la démocratie » « encore un soldat qui veut imposer sa dictature ».
Cependant, de façon très claire, sans hypocrisie, sans faux semblant, les yeux dans les yeux, Nous sommes tous conscients que ce modèle démocratique que vous nous avez si insidieusement et savamment imposé après le sommet de la Baule en France, presque de façon religieuse, elle ne marche pas. Les différents indices économiques et sociaux sont là pour le démontrer. Ce n’est pas un jugement de valeur sur la démocratie en elle-même. Croyez-moi. C’est un bilan. Un constat sur plusieurs décennies d’expérimentation chaotique de ce modèle dans notre environnement. Une période où il n’a été question que de joutes politiques. Au détriment de l’essentiel. L’économie.
Permettez-moi de pousser l’exercice de vérité un peu plus loin. Avec ma courte mais intense expérience de gestion d’un Etat, la Guinée, j’ai mieux mesuré à quel point ce modèle a surtout contribué à entretenir un système d’exploitation et de pillage de nos ressources par les autres. Et une corruption très active de nos élites. Des leaders nationaux à qui on a souvent accordé des certificats de démocrate en fonction de leur docilité ou de leur aptitude à brader les ressources et les biens de leurs peuples. Ou encore de leur facilité à céder aux pseudo recommandations et injonctions de certaines institutions internationales au service des grandes puissances.
Je dois d’ailleurs dans ce sens confesser que tout ce à quoi je fais face dépasse toute imagination. Se sont les mêmes qui professent la démocratie, la transparence, la bonne gouvernance, qui dénoncent la corruption, qui dictent les règles. C’est eux qui en off, très discrètement et sournoisement redoublent de pression pour nous faire céder notre patrimoine dans des contrats léonins.
Je comprends aujourd’hui certains dirigeants, quelques-uns de mes prédécesseurs qui, parce qu’ils avaient des fragilités, parce qu’ils étaient sous pression, ou parce qu’ils trainent des casseroles ou surtout parce qu’ils avaient un agenda politique ont cédé à ce qu’on leur demandait. Je les comprends sans les approuver. Certains m’ont même rappelé que si j’avais un agenda politique je serais moins à l’aise pour mener à bien les réformes auxquels mon gouvernement et moi nous nous sommes attaqués.
Une chose est certaine, nous n’avons qu’une seule préoccupation. Le bien-être du peuple et le vivre ensemble. C’est cela notre priorité. C’est pourquoi la transition que je dirige a choisi de se consacrer avec méthode en fixant des objectifs clairs dans un ordre précis. Le social, l’économie et le politique.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Mon uniforme je l’ai mise au service de mon peuple. Je vous serais reconnaissant de respecter ce serment. De nous tenir à distance respectable des divisions de toute sorte que beaucoup essaient de nourrir dans nos pays. Le sahel traverse l’une des crises les plus graves de sa très vieille histoire.
Mais elle a les ressorts nécessaires pour y faire face. Son sens légendaire de la diplomatie doit être libéré afin qu’ensemble nous nous parlions sans interférence. C’est pour cela que la CEDEAO dont la vocation était économique doit cesser de se mêler de politique et privilégier le dialogue.
Nous africains sommes fatigués, épuisés des catégorisations dans lesquelles les uns et les autres veulent nous cantonner. La population de l’Afrique est jeune. Elle n’a pas connu la guerre froide. Elle n’a pas connu les guerres idéologiques qui ont façonné le monde des 70 dernières années.
C’est pourquoi nous trouvons insultant les cases, les classements qui tantôt nous placent sous l’influence des américains, tantôt sous celle des anglais, des français, des chinois, des russes et même des turcs.
Nous ne sommes ni pros ni anti américains, ni pro ni anti chinois, ni pro ni anti français, ni pro ni anti russes, ni pro ni anti turcs. Nous sommes tout simplement pro africains. C’est tout. Nous mettre sous la coupe de telle ou telle puissance est une insulte, du mépris, du racisme vis-à-vis d’un continent de plus d’un milliard trois cent millions de personnes.
Il est important dans cette prestigieuse et influente assemblée que l’on comprenne clairement, définitivement que l’Afrique de papa, la vieille Afrique, c’est terminé. Avec une population de plus d’un milliard d’africains dont environ 70% de jeunes totalement décomplexés, des jeunes ouverts sur le monde et décidés à prendre leur destin en main, il est venu le moment de prendre conscience que les structures, les règles issues de l’après seconde mondiale, en l’absence de nos Etats qui n’existaient pas encore sont obsolètes. C’est la fin d’une époque déséquilibrée, injuste où nous n’avions pas droit au chapitre.
C’est le moment de prendre en compte nos droits, de nous donner notre place. Mais aussi et surtout le moment d’arrêter de nous faire la leçon, d’arrêter de nous traiter comme des enfants. Rassurez-vous nous sommes suffisamment grands pour savoir ce qui est bien pour nous.
Nous sommes suffisamment matures pour définir nos priorités, pour concevoir notre propre modèle qui corresponde à notre identité, à la réalité de nos populations, à ce que nous sommes tout simplement. Nous vous serions fort reconnaissant de nous faire confiance et de nous laisser mener notre barque comme vous l’avez permis dans certaines régions du monde. En Asie, au Proche et Moyen Orient. Pour ne citer que ceux-là. Cette infantilisation est du plus mauvais effet pour une jeunesse africaine qui s’est émancipée ».
Daouda Yansané