CONFLIT. Pour les Africains, tout règlement qui ne tiendrait pas compte du continent serait « inefficace » et « contre-productif ».
C’est peu de dire que l’Afrique a été et est toujours traumatisée par la situation qu’a engendrée la mauvaise gestion par les puissances intervenues en 2011 de l’après-Kadhafi. À leurs yeux, le chaos que vit le Sahel et la capacité de nuisance accrue des groupes terroristes djihadistes en sont les conséquences directes. Et les pays africains sont d’autant plus amers qu’ils n’avaient pas fait mystère de leur opposition, déjà, à l’intervention étrangère en Libye. C’est fort de cet historique que le président congolais Denis Sassou Nguesso a plaidé dès le 6 janvier pour que l’Afrique ne soit pas marginalisée dans la résolution de la crise libyenne. « La Libye est un pays africain et les victimes du conflit libyen sont essentiellement en Afrique. Dès lors, toute stratégie de règlement de la crise libyenne tendant à marginaliser le continent africain pourrait se révéler complètement inefficace et contre-productive », a-t-il déclaré devant des diplomates africains et occidentaux venus lui présenter leurs vœux pour la nouvelle année. Président du Comité de haut niveau de l’Union africaine (UA) sur la Libye, Denis Sassou Nguesso a poursuivi : « Je me sens, une fois de plus, dans l’impérieuse nécessité de suggérer de nouvelles initiatives, afin que le prochain sommet de l’UA élève la résolution du drame libyen au rang de priorité majeure ».
L’Afrique désigne les responsabilités…
« L’Union Africaine a régulièrement demandé un rôle central dans le processus en cours, mais elle a toujours été ignorée », a par ailleurs soutenu Ebba Kalondo, la porte-parole de M. Faki. En guise de rappel, il faut dire que la Libye, pays pétrolier emblématique de l’Afrique, est plongée dans le chaos depuis la chute en 2011 du régime de Mouammar Kadhafi après une révolte populaire et une intervention militaire menée par la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis. S’il y a des causes endogènes aux attaques djihadistes au Sahel, la crise en Libye a créé un vide sécuritaire mais aussi favorisé la circulation de milliers d’armes, munitions et explosifs, contribuant d’une façon décisive à la montée en puissance des groupes djihadistes au Mali, au Niger et au Burkina ces dernières années.
Le président nigérien Mahamadou Issoufou le répète sans relâche. « La communauté internationale est responsable de ce qui nous arrive à travers sa décision désastreuse d’intervenir en Libye », a-t-il rappelé à Niamey en décembre. « La Libye est africaine, on ne peut pas régler le problème libyen en laissant à la marge l’UA », avait-il précisé à l’AFP. Le président tchadien Idriss Deby est sur la même longueur d’ondes : « La bataille contre le terrorisme au Sahel passe forcément par le règlement de la crise libyenne. Le chaos libyen (…) demeure la principale source de déstabilisation de l’ensemble du Sahel », insistait-il en décembre à Rome. Sur le terrain sahélien, la situation ne cesse de s’aggraver. En 2019, les attaques djihadistes ont fait 4 000 morts au Burkina, au Mali et au Niger, en dépit de l’action de la France et des États-Unis aux côtés des armées nationales. « L’Afrique peut espérer obtenir plus d’écho avec la dégradation de la situation sécuritaire au Sahel », soulignait il y a quelques mois une source diplomatique occidentale.
De fait, après avoir été longtemps ignoré, le comité de haut niveau de l’UA sur la Libye, présidé par Denis Sassou Nguesso, s’est activé ces dernières semaines. Un émissaire du chef de l’État congolais s’est rendu dans la foulée en Algérie, pays clé dans les discussions internationales en cours, afin d’évoquer les moyens de « dynamiser le processus des négociations entre les parties libyennes », selon un communiqué de la présidence algérienne. Mais les deux parties ont aussi abordé le « rôle de l’UA dans la relance du processus de paix ».
… et ses inquiétudes s’accroissent
Toutefois le « dossier reste entre les mains des Nations unies. L’ONU ne voit pas forcément l’UA comme une voix décisive », pense Claudia Gazzini, du groupe de réflexion International Crisis Group (ICG). Une source nigérienne explique que l’UA est « divisée », soulignant que par exemple « l’Égypte ne veut pas que l’UA se charge de ce dossier ». Les déchirements de la Libye entre le Gouvernement d’union nationale libyen (GNA) de Fayez el-Sarraj, reconnu par l’ONU et basé à Tripoli, et un pouvoir incarné par l’homme fort de l’est libyen, le maréchal Khalifa Haftar, préoccupaient déjà le continent.
L’entrée en jeu de nouveaux acteurs n’a fait qu’aggraver les inquiétudes africaines : la Russie soutient Khalifa Haftar (appuyé notamment par l’Égypte) et la Turquie, alliée du GNA, a récemment autorisé l’envoi de militaires dans le pays. Les forces du maréchal Haftar ont lancé en avril 2019 une offensive pour tenter de s’emparer de Tripoli. Plus de 280 civils et 2 000 combattants ont été tués, selon l’ONU. Quelque 146 000 Libyens ont dû fuir les combats. Une cessation des hostilités, globalement respectée, est en vigueur depuis dimanche. Mais le maréchal Haftar a pour l’heure refusé de signer le cessez-le-feu paraphé par M. Sarraj. « Cette implication des nouveaux acteurs complexifie davantage la crise libyenne », avertit Ibrahim Yacouba, ancien chef de la diplomatie nigérienne.
SOURCE : LEPOINT