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Friday 22 November 2024

Les mariages précoces et forcés des filles/femmes en Guinée

Ces mariages, bien qu’illégaux, persistent ; la loi a du mal à s’imposer, et les victimes en pâtissent.

Très peu de filles refusent le choix de la famille, celles qui le font se retrouvent le plus souvent à la rue (c) Boubacar Barry

Le code civil guinéen fixe l’âge du mariage à 17 ans au moins pour les femmes, et 18 ans pour les hommes. Le consentement libre des époux est une condition de validité du mariage. Mais la loi est désuète. En matière de mariage, la coutume et la religion priment sur le Droit. Le mariage coutumier, plus important, est donc largement adopté, souvent en violation de la majorité légale ou du consentement. Le mariage civil est facultatif. Il est souvent ignoré, et s’il doit être célébré, il succède toujours au mariage coutumier.

Fréquence des mariages précoces et forcés :

En marge de la célébration à Conakry le 16 juin 2017 de la journée de l’Enfant Africain, l’ex-ministre des Affaires sociales, a révélé une étude menée en 2016. 54,6% des filles sont mariées avant 17 ans, et 22,8% avant 15 ans. Une autre étude du gouvernement précise que 63% des unions (adultes) sont des mariages forcés.

Mais il est difficile de cerner le phénomène, beaucoup plus répandu en milieu rural et qui échappe à l’appréciation des autorités administratives. Ces mariages existent dans toutes les religions et dans toutes les ethnies, essentiellement chez les musulmans, et chez les Peulhs et Malinkés. Chez les Soussous et les Forestiers, le sexe est moins tabou et les règles de cohabitation sont moins rigoureuses. Les partenaires, en général, vivent longtemps en concubinage ou en fiançailles et mettent au monde des enfants avant de célébrer le mariage. Ainsi, les grossesses précoces hors mariages sont fréquentes.

Autant de mariages précoces et forcés, pourquoi ?

Dans certaines communautés, les relations sexuelles hors mariages sont prohibées par la bienséance. La virginité est sacrée, et doit se perdre pendant la nuit nuptiale. La fille qui tombe enceinte hors mariage ainsi que sa famille sont stigmatisées et méprisées par la société, et l’enfant qui naîtra est qualifié de “Bâtard”. Le baptême de cet enfant n’est pas célébré contrairement à celui de l’enfant légitime. Pour les parents, une fille dans le cocon familial, c’est un risque imminent. La femme est donc perçue comme une source de graves problèmes éventuels, qu’on peut prévenir par le mariage qui attire respect et considération à l’égard des époux et leurs familles respectives. En cas de grossesses hors mariages (adultes aussi), parfois des mariages sont rapidement arrangés par les parents pour empêcher l’affaire de tomber au grand jour.

Les autres facteurs encourageant les mariages d’enfants ou forcés sont l’analphabétisme et la pauvreté. Donner une fille en mariage, c’est réduire les charges liées à son entretien. La société guinéenne est de type patriarcal. Le mari est maître du foyer, il en assure sa survie financière. Ceci fait que plusieurs filles abandonnent l’école et ne travaillent pas, elles restent à la maison s’occuper des tâches ménagères. Les garçons partent au charbon pour faire vivre la famille.

Le choix parental et ses conséquences :

Dans plusieurs communautés ou familles en Guinée, ce sont les parents qui choisissent le mari de leur fille. Tant mieux si elle le trouve à son goût. Parce que la femme ne décide pas et son avis ne compte pas souvent. Le mariage est endogamique ; les conjoints sont souvent apparentés (cousins) ou leurs parents respectifs s’entendent bien. “Tu l’aimeras avec le temps, je n’aimais pas ton père quand on s’est marié”, “je n’aimais pas ta mère quand on s’est marié”, plusieurs jeunes ont entendu ce genre de message. Le mari est souvent de loin le plus âgé ; l’écart d’âge peut aller jusqu’à 40 ans. Des fillettes ou des majeures sont souvent deuxième, troisième voire quatrième épouse d’un vieux polygame.

Refuser le choix parental ; c’est humilier ses parents qui auraient mal élevé leur enfant. La fille qui refuse peut-être répudiée, reniée par sa famille, chassée du domicile parental et rejetée par la société. De nombreuses filles et femmes acceptent le choix parental, non par amour du mari, mais pour sauver l’honneur de la maison. D’autres trouvent refuge chez les proches qu’elles appellent à intercéder en leur faveur. Mais, aucune autre famille n’accepte de recueillir pour longtemps une femme en déroute, de peur de passer pour sa complice. La famille d’accueil doit diligenter les négociations, au cas où celles-ci échouent, la fille est renvoyée.

La loi de février 2016 :

Le nouveau code pénal de février 2016 interdit le mariage forcé (art.319-1). Le consentement des “futurs époux majeurs” doit être exempt de vices (al 2). Forcer une personne ou empêcher son choix, est puni de 3 mois à 1 an de prison et d’une amende de 500 milles à 2 millions GNF, ou de l’une des deux peines (art. 320).

Seul le mariage civil est reconnu par le code civil. Mais le code pénal ne sanctionne pas le mariage coutumier. Toutefois, la consommation ou la tentative de l’acte sexuel sur une conjointe de moins 16 ans “mariée de force” est punie d’un emprisonnement de 2 à 5 ans et d’une amende de 500 milles à 3 millions, ou de l’une des deux peines (art.321). Si l’enfant est âgée de 16 ans, la peine précédente s’applique (art 322-1). Mais ce dernier article omet l’expression “mariée de force”. Si l’enfant subit des violences, blessures graves, une infirmité, ou si elle en meurt, le coupable est puni de la réclusion criminelle de 10 à 20 ans (al 2). L’interdiction de certains droits civiques, civils et de famille peut être prononcée pour 5 ans au moins et 10 ans au plus (al 3). Ces droits sont énumérés par l’article 53 du code pénal.

Les articles suscités excluent le paiement des dommages et intérêts.

Le dépôt de plainte par la victime :

Le dépôt de plainte par la victime d’un mariage précoce ou forcé, s’il en existe, c’est une goutte d’eau dans l’océan. L’histoire ne va pas retenir que telle fille a trimbalé ses propres parents en justice. La fille ou femme qui le ferait serait maudite, reniée et répudiée par sa famille pour l’éternité ; et stigmatisée par la société. Le conseil familial (parfois élargi à la notabilité et aux chefs de zone) traite de la question. Bien que ce soit traditionnel de ne pas reconnaître la faute des ascendants en face des descendants. Les anciens ont toujours raison. C’est pourquoi des filles ont préféré s’enfuir loin, à la veille du mariage ou pendant et en pleine célébration de celui-ci. Dans pareille situation, la petite ou grande sœur est appelée le même jour à remplacer sa sœur en fuite, pour sauver l’honneur. A Conakry, en début d’année, une gamine de moins de 15 ans ayant été forcée à remplacer sa sœur en fuite, est retournée chez ses parents, une semaine après le mariage, refusant coûte que coûte de retourner chez son mari.

Des ONG proposent d’aider les victimes : sensibilisation, dénonciation, négociation et dépôt de plainte. Mais elles manquent de visibilité même à Conakry. Les mariages d’enfants échappent à leur connaissance. Encore, personne ne veut voir sa famille humiliée par d’autres personnes. Le 1er mars dernier, un lycéen de 23 ans a publié sur son profil facebook les photos de son mariage avec une fillette de 13 ans. Le mariage religieux était célébré la veille dans la mosquée d’un village dans la préfecture de Mali (nord de Guinée). L’époux exprimait sa joie en remerciant sa famille, ses proches et amis. Mais la publication dont il ignorait les effets a créé un sursaut d’indignation sur la toile. Les associations féministes alertent les autorités. Les parties concernées (les parents des époux, les chefs religieux ainsi que l’époux) sont interpellés. La fillette aurait déclaré qu’elle n’était pas forcée, elle est recueillie par la direction préfectorale de l’action sociale.

Les mariages précoces et forcés sont donc illégaux mais persistent ; la règle coutumière est majoritaire. La mineure, comme la majeure, n’a véritablement pas souvent le choix, outre son inaptitude au “discernement”. De nombreux problèmes en découlent : mésentente dans le couple, infidélité de la conjointe, violences conjugales, divorce, etc. Selon une étude du gouvernement, 85% des femmes ont subi des violences conjugales.

En ville, le mariage civil est aussi célébré, mais parfois non pour respecter la loi. Souvent suivi d’une grande réception ; c’est donc un moyen de publication du mariage. Les familles et amis conviés au mariage devront gratifier la future épouse de biens nécessaires au ménage. C’est la coutume de presque toutes les ethnies en Guinée.

Les victimes des mariages précoces et forcés sont confrontées à d’énormes problèmes plus ou moins graves. Juxtaposons entre autres : l’abandon scolaire, les grossesses précoces et non planifiées, l’accouchement difficile (césarienne, parfois), la mort de la mère, de son enfant, voire des deux, etc.

SOURCE : Boubacar Barry PodcastJournal.net

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