Les pays de la CEDEAO ont depuis plus de trente ans en projet la création d’une monnaie unique, acté le 1er juin 1983 à Conakry (Guinée). L’objectif étant de faciliter les échanges commerciaux entre les États et avoir une meilleure compétitivité des économies de la zone, sans omettre la question de la souveraineté de la monnaie. Ce projet remet en cause la prédominance du Franc CFA[1] qui est géré par le Trésor Français à travers des comptes d’opérations ouverts à la banque de France.
Le 24 octobre 2017, les chefs d’État réunis en au sommet de la CEDEAO au Niger, ont suggéré la mise en circulation d’une monnaie unique à partir de 2020. C’est finalement le sommet de la CEDEAO du 29 juin 2019 à Abuja au Nigeria qui décide de l’adoption définitive du nom de la future monnaie de la CEDEAO : l’« Eco» ainsi que sa mise en circulation pour 2020. Notons que le Franc CFA est utilisé par les pays de l’Union monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) et ceux de la CEMAC soit au total 14 pays. Cependant la nouvelle monnaie ne concerne que les 15 pays membres de la CEDEAO.
La guerre de positionnement pour un leadership monétaire
Deux tendances s’affrontent quant au positionnement pour un leadership de la nouvelle monnaie « Eco », d’un côté les souverainistes conduits par le géant Nigeria et le Ghana qui souhaitent avoir une monnaie autonome avec un régime de change flexible, sans implication de la France et de l’autre les pays de l’UEMOA qui ont en partage le Franc CFA soutenus par la France qui militent pour une parité fixe entre « Eco » et « Euro ». Cette guerre de positionnement fait de la France un acteur incontournable et majeur du débat sur FCFA qui secoue lourdement l’UEMOA à travers la déclaration du Président français Emmanuel Macron à de propos du FCFA, se disant favorable » à un changement du « nom » ou à un élargissement du « périmètre » du franc CFA. Il précise cependant que cela est possible si les États africains le souhaitent.
Le président ivoirien Alassane Ouattara, après une audience avec le Président Emmanuel Macron, déclara devant des journalistes à l’Élysée en plein débat sur la création d’une monnaie de la CEDEAO, que le Franc CFA était une monnaie solide, une monnaie de référence d’où la réticence de la Zone UEMOA de couper le lien monétaire avec le Trésor Français. Cette déclaration a pesé sur la future légitimité de l’« Eco » dans la mesure où la Côte d’Ivoire est la première puissance économique de la Zone UEMOA avec un poids économique de 60% du PIB de la Zone.
La guerre informationnelle entre acteurs
De son côté, le Nigeria n’entend pas se laisser guider dans la création de la monnaie unique « Eco », dans la mesure où ce pays tient à sa souveraineté monétaire. Il est le porte-voix des autres pays non-membres de l’UEMOA. Pour le Nigeria, la nouvelle monnaie ne doit ne dépendre d’aucun pays et doit être gérée de façon souveraine par les États de la CEDEAO. Cette tendance qui défend la thèse souverainiste de la monnaie, préconise pour le régime de change, la flexibilité de l’« Eco », soutenue en cela par les intellectuels et les activistes des sociétés civiles africaines tels que l’économiste Kako Nubukpo, le Professeur Mamadou Coulibaly, et l’activiste franco-béninois Kemi Seba. Pour cette tendance souverainiste, la flexibilité de la monnaie référencée sur un panier de monnaies y compris l’Euro, permet d’avoir des marges de manœuvre, de posséder une politique monétaire, de faciliter les exportations, de créer des emplois, d’éviter la contrainte de devises obligatoires pour garantir une parité fixe et de créer la croissance économique.
L’autre tendance regroupe les pays de l’UEMOA ayant en partage le Franc CFA. La Côte d’Ivoire en assure le leadership, soutenue par la France est plutôt pour le maintien à côté de la flexibilité du régime de change, un maintien de la parité avec l’Euro avec les conséquences qui suivent c’est-à-dire la garantie de convertibilité illimitée accordée par le Trésor français, la parité fixe et donc la centralisation des réserves. Les pays de l’UEMOA expliquent cela par la garantie d’une maîtrise de l’inflation, de croissance économique et la stabilité de l’économie. Le Président ivoirien Alassane Ouattara estime pour sa part que le débat sur le FCFA est un faux débat, d’autant que c’est une monnaie solide, bien gérée et qui est stabilisante pour l’économie de la zone ainsi que pour les populations. Cette thèse est soutenue par la France.[2]
Le Président du Bénin (membre de L’UEMOA) annonce lors d’une interview le jeudi 07 novembre 2019 le retrait des réserves de change du Franc CFA de la Banque de France, d’où la suppression des comptes d’opérations. C’est la première fois qu’un chef d’État des pays concernés en parle ouvertement. Cette annonce de Patrice Talon loin d’être fortuite annonce une stratégie des pays membres de la zone francs à sortir de la gestion de cette monnaie par la France, et à ne plus dépendre de la politique monétaire de l’Euro via la France bien attendu que le Président Patrice Talon précise que cela est une mesure prise par la France.
Une entente à minima pour le démarrage de la monnaie « Eco » pour 2020
Réuni à Abidjan (Côte d’Ivoire) les 17 et 18 juin 2019, le Comité ministériel sur le programme de la monnaie unique de la CEDEAO a retenu un régime de change flexible assorti de ciblage d’inflation comme cadre de politique monétaire. Il a également été convenu l’adoption du Modèle de Système fédéral des Banques centrales. Sur le choix de la dénomination de la Monnaie Unique de la CEDEAO, le consensus s’est dégagé autour de la dénomination « ECO ». Concernant la convergence macroéconomique, les États membres sont invités à prendre les mesures idoines en vue de respecter de manière durable les critères de convergence macroéconomique en tant que conditions sine qua non pour la création d’une union monétaire crédible au sein de la CEDEAO. Aussi ont-ils convenu que la date du 15 janvier 2020 soit effectivement la date de mise en circulation de la monnaie « ECO ». Le lancement de cette monnaie à la date indiquée ne semble pas faire l’unanimité d’autant plus que le cadre organique tarde à se mettre en place et on approche de l’échéance. La décision du Président Patrice Talon ne rassure pas non plus. L’annonce du démarrage de l’« Eco » pour janvier 2020 est assimilé à un « agenda politico-économique qui est différent des réalités économiques souvent en déphasage avec les réalité politiques ».
SOURCE : INFOGUERRE