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Friday 18 October 2024

Italie: Silvio Berlusconi décédé à 86 ans

Silvio Berlusconi, le milliardaire italien et magnat de la presse, quatre fois Premier ministre, qui a balayé du revers de la main une série de batailles juridiques et de scandales sexuels pour dominer la vie publique de son pays pendant plus de deux décennies, est mort, lundi, à l’âge de 86 ans.

Premier ministre italien à la plus longue longévité depuis la Seconde Guerre mondiale, Silvio Berlusconi n’est plus. Son décès a été annoncé lundi 12 juin, par des médias italiens. Il avait été de nouveau hospitalisé à Milan, vendredi, pour des examens cliniques liés à une leucémie chronique, trois semaines après avoir quitté l’hôpital San Raffaele pour une infection pulmonaire.

Longtemps l’homme le plus riche du pays, le milliardaire controversé a fait fortune dans l’immobilier avant de bâtir le plus grand empire médiatique national, Mediaset, qu’il a ensuite utilisé pour réaliser une entrée fracassante en politique.

“Il Cavaliere” (le chevalier), l’un de ses nombreux surnoms, a collectionné les frasques et les scandales, dont celui de ses soirées de débauche “bunga bunga”. Il a aussi transformé et monopolisé la scène politique italienne au début du XXIe siècle, introduisant un clivage gauche-droite biaisé qui opposait son camp conservateur au front anti-Berlusconi de gauche.

Autant admiré que honni en Italie, il aura surtout été tourné en dérision à l’étranger. Après une décennie au pouvoir, le magazine britannique The Economist avait publié un article sur son bilan à la tête du gouvernement avec un titre resté célèbre : “The man who screwed an entire country” (“L’homme qui a bousillé tout un pays”).  

Le précurseur du populisme contemporain

Malgré les railleries, le style politique unique et la carrière tumultueuse de Silvio Berlusconi sont devenus un modèle pour des politiciens ambitieux du monde entier, lui valant finalement la réputation peu envieuse d’être le précurseur du populisme contemporain.  

Bien avant que le président Donald Trump ne joue la carte “anti-système”, le magnat lombard avait réussi à se faire passer pour la bête noire d’une classe politique en déclin et discréditée. Accusé d’être aussi narcissique, sexiste et égoïste que le milliardaire américain, Silvio Berlusconi a également joué le rôle de la victime et s’en est pris au système judiciaire italien, allant jusqu’à affirmer un jour qu’il était “la personne la plus persécutée de l’histoire du monde et de l’histoire de l’humanité”. 

Il a également joué le rôle du bouffon, plus invétéré que le Britannique Boris Johnson, en amusant l’Italie autant qu’il la dirigeait, d’un machisme plus élégant que son ami russe Vladimir Poutine, en ajoutant une touche avenante et lettrée au culte de sa personnalité, voire même d’un stratège plus subtil que Matteo Salvini, le nationaliste grande gueule qui a fini par le supplanter dans le camp de la droite transalpine. 

L’homme politique italien, qui a fait le plus parler de lui depuis Benito Mussolini, a un jour été décrit comme une “maladie qui ne peut être soignée que par la vaccination” par le journaliste d’après-guerre le plus respecté du pays, le défunt Indro Montanelli. Le vaccin, affirmait ce dernier, à la veille des élections générales de 2001, consistait à prendre “une bonne dose de Berlusconi au poste de Premier ministre, une bonne dose de Berlusconi à la présidence, une bonne dose de Berlusconi à la place du pape et n’importe où il peut le souhaiter encore, et on sera définitivement immunisé.”   

Mais Indro Montanelli a eu tort au sujet de l’immunité, tout comme les nombreux autres experts qui n’ont eu de cesse de critiquer le Cavaliere.   

Les yeux rivés sur les États-Unis

Silvio Berlusconi est né le 29 septembre 1936 à Milan, la capitale financière de l’Italie. Premier d’une fratrie de trois enfants, il est élevé dans une famille de la classe moyenne. Comme beaucoup de personnes de sa génération, il a été évacué pendant la Seconde Guerre mondiale et a vécu avec sa mère dans un village à l’écart de la ville.

Le jeune homme, beau garçon et affable, fait ses premières classes en vendant des aspirateurs au porte-à-porte et en chantant occasionnellement dans des boîtes de nuit et sur des bateaux de croisière avec son ami Fedele Confalonieri, qui restera son fidèle associé jusqu’à la fin. 

Après avoir obtenu son diplôme de droit en 1961, Silvio Berlusconi commence une carrière dans la construction, s’établissant comme promoteur immobilier dans la région de Milan. Il a connu son heure de gloire au début des années 1970 avec la construction de Milano 2, une ville autonome construite par sa société Edilnord dans la banlieue, bientôt suivie de sa jumelle, Milano 3.

Avec leurs lacs artificiels, leurs installations sportives, leurs églises et leurs centres commerciaux, les villes modèles de Silvio Berlusconi étaient conçues comme la version italienne des banlieues américaines – des environnements fonctionnels dédiés au travail, aux loisirs et aux heures passées devant la télévision. “Je suis favorable à tout ce qui est américain avant même de savoir ce que c’est”, a-t-il déclaré un jour au journal britannique Times. 

C’est à Milano 2 que le Cavaliere a bâti son empire médiatique, Mediaset, en lançant les premières chaînes de télévision privées du pays avec l’aide de ses amis politiciens, au premier rang desquels le puissant leader socialiste Bettino Craxi, ancien Premier ministre dont le nom deviendra plus tard synonyme de corruption.

C’est également dans cette banlieue verdoyante qu’a commencé, à la fin des années 1970, la bataille qu’il a menée pendant quatre décennies contre le système judiciaire, avec les premières enquêtes sur les financements jugés douteux d’Edilnord. Les affaires ont rapidement été classées, bien qu’il soit apparu par la suite que les enquêteurs avaient obtenu des postes à responsabilité au sein de la holding Fininvest de Silvio Berlusconi. 

L’AC Milan comme tremplin

Au cours des années suivantes, plusieurs anciens chefs de la mafia ont déclaré que l’Edilnord avait reçu de généreux financements de la part d’organisations criminelles basées en Sicile, par l’intermédiaire de Marcello Dell’Utri, ami proche de Silvio Berlusconi, qui a ensuite été condamné pour collusion avec la mafia dans une autre affaire. 

Silvio Berlusconi lui-même a commencé à sentir la menace se rapprocher de lui au début des années 1990, lorsqu’une vaste enquête sur la corruption a eu raison du parti Démocratie chrétienne, aux commandes du pays depuis la guerre, et de son ami et protecteur Bettino Craxi. Mais au lieu de faire profil bas, le Cavaliere a flairé une opportunité à saisir.   

En 1992, au plus fort des enquêtes de l’opération anti-corruption “Mains propres”, on a demandé au magnat milanais s’il envisageait de se présenter aux municipales dans sa ville natale, où l’AC Milan, le club de football lui appartenant, avait remporté cette année-là son douzième titre de champion. Sa réponse a été une prédiction très précise de ce qui allait se passer les années suivantes. 

“Savez-vous que je reçois chaque jour 400 lettres de ménagères qui me remercient de les avoir libérées de leur ennui quotidien grâce à mes programmes télévisés ?”, a-t-il répondu. “Si j’entrais en politique avec cette base électorale, je ne me présenterais pas comme maire. Je construirais plutôt un parti comme celui de [Donald] Reagan, je gagnerais les élections et je deviendrais Premier ministre.”

Forza Italia !

Deux décennies avant qu’Emmanuel Macron, en France, ne sorte un parti politique de son chapeau et ne remporte les clés de l’Élysée, Silvio Berlusconi, sans aucune référence politique, a réussi le même tour de force en Italie – et en deux fois moins de temps. Composé de stratèges en marketing en costume cravate, le parti Forza Italia (“Allez l’Italie”) n’avait que cinq mois d’existence lorsque son fondateur a pris le pouvoir au printemps 1994 en promettant de baisser des impôts, de réduire l’empiétement de l’État dans la vie de ses citoyens et de restaurer la fierté de la nation italienne.   

Salué par ses partisans comme “l’oint du Seigneur”, le milliardaire au bronzage permanent a déclaré qu’il s’était senti obligé d’entrer dans l’arène politique afin d’empêcher la gauche post-communiste d’accéder au pouvoir. Ses détracteurs, eux, ont toujours affirmé qu’il était surtout motivé par le besoin de protéger ses propres entreprises – une critique confirmée par les nombreuses lois taillées sur mesure que ses gouvernements successifs ont fait voter, au fil des années, au Parlement.

Si son premier gouvernement, qui manquait cruellement d’expérience, s’est rapidement effondré, le magnat des médias a continué à dominer la politique italienne pendant les deux décennies suivantes, en signant même des rebonds politiques lors des rendez-vous électoraux de 2001 et de 2008. Bien qu’il ait été à la tête d’une coalition difficile à diriger, composée de post-fascistes basés dans le sud du pays et de séparatistes d’extrême,droite de la Ligue du Nord, il est devenu le seul Premier ministre à rester en fonction pendant toute une législature de cinq ans, entre 2001 et 2006 – ce qui n’est pas aisé dans un pays ayant connu 67 gouvernements différents depuis 1945.

Il aura fallu une combinaison mêlant la crise de la dette de la zone euro, la perte de sa majorité parlementaire à la suite d’une scission du parti et des récits scabreux d’orgies “bunga bunga” avec des danseuses et des prostituées pour que Silvio Berlusconi soit finalement chassé du pouvoir en 2011, pour la troisième et dernière fois, et ce, sous les huées des manifestants réunis dans le centre de Rome pour fêter son départ. 

Plus tôt dans l’année, l’ancien vendeur d’aspirateurs avait subi un coup dur lors de l’invalidation par la Cour constitutionnelle italienne d’une partie de la loi censée lui accorder une immunité temporaire. Après avoir été blanchi de multiples accusations durant des années – souvent parce que le délai de prescription avait expiré ou parce que son gouvernement avait modifié la loi, par exemple en dépénalisant la pratique de la fausse comptabilité –, “sa chance” a tourné en 2012. Précisément lorsqu’il a été condamné, en première instance dans le cadre de l’affaire Mediaset, à quatre ans de prison pour fraude fiscale et à une interdiction d’exercer un mandat public pendant cinq ans. 

Mais comme Silvio Berlusconi avait plus de 75 ans à l’époque, il s’est vu imposer en échange des travaux d’intérêt général qui consistaient à travailler quatre heures par semaine auprès de personnes âgées atteintes de démence sénile dans un centre de soins catholique près de Milan. 

Un an après, il a été reconnu coupable d’incitation à la prostitution de mineurs alors qu’il était accusé d’avoir eu des relations sexuelles tarifées avec la danseuse marocaine Karima “Ruby” El Mahroug. Âgée de 17 ans, la jeune femme était invitée à ses soirées “bunga bunga” dans sa villa d’Arcore, près de Milan. Le Cavaliere a également été condamné pour abus de pouvoir pour avoir fait libérer de prison “Ruby”, en mai 2010, dans une affaire distincte concernant le vol d’un bracelet d’une valeur de 3 000 euros. La condamnation a été annulée par la suite, mais Silvio Berlusconi a dû faire face à d’autres accusations de subornation de témoin lors de son procès. 

Entre-temps, sa seconde épouse, Veronica Lario, avec qui il a eu trois de ses cinq enfants, a décidé de demander le divorce après qu’il a été photographié à la fête du 18e anniversaire d’une jeune mannequin qui l’appelait “Papi”.

“Parfois, vous ne pouvez tout simplement rien vendre sans pot-de-vin” 

Malgré son déclin rapide, Silvio Berlusconi a tenté un nouveau retour en force avant les élections législatives de 2013, réussissant à combler un écart de 15 points dans les sondages et passant à un cheveu d’une victoire électorale éclatante. Malgré ce retour raté, ce résultat a consacré son rôle d’acteur central de la politique italienne. 

Réfléchissant au soutien électoral dont a longtemps bénéficié le magnat milanais, Maurizio Cotta, professeur de politique à l’université de Sienne, a déclaré que Silvio Berlusconi comprenait mieux que quiconque certains aspects de la psyché italienne. Berlusconi parlait “alla pancia” (“aux tripes”) des Italiens, selon Maurizio Cotta. “Il connaissait leurs points faibles – leur peur de la discipline, de l’État, de perdre leur maison, d’être pris la main dans le sac”.

Lorsque le patron du géant de l’aérospatiale Finmeccanica a été arrêté avant les élections de 2013 pour avoir soudoyé des officiels indiens afin de garantir la signature d’un énorme contrat d’hélicoptères, Silvio Berlusconi, le seul de tous les hommes politiques du pays, a reproché aux magistrats de nuire aux emplois italiens. “Parfois, vous ne pouvez tout simplement rien vendre sans pot-de-vin”, avait-il fait remarquer. 

Peu importe les procès à répétition, les lois adoptées pour se protéger des juges, les blagues salaces de campagne sur la fréquence à laquelle une femme “jouirait” ou le fait qu’il soit personnellement intervenu pour faire libérer “Ruby” – en affirmant qu’il pensait qu’elle était la nièce du président égyptien de l’époque, Hosni Moubarak –, il n’en reste pas moins que près d’un quart des électeurs italiens ont quand même choisi son parti en 2013, et près d’un tiers ont soutenu sa coalition.

“Berlusconi est susceptible de provoquer tous les désastres imaginables, néanmoins il parle la langue et connaît les intérêts de son ‘bloc social'”, écrivait Perangelo Battista dans le Corriere della Sera, le quotidien le plus connu d’Italie, en faisant référence aux petites et moyennes entreprises qui honnissent les impôts et qui formaient l’épine dorsale de sa base électorale. 

À 81 ans, et 18 mois seulement après avoir subi une opération à cœur ouvert, le Cavaliere a tenté de se remettre en selle lors des élections législatives de 2018, en essayant de bricoler des coalitions improbables et en promettant aux Italiens, avec un optimisme inébranlable, un avenir plus rose. Son parti s’en est raisonnablement bien sorti, même s’il a été dépassé, à droite, par le parti eurosceptique et anti-immigration Lega de Matteo Salvini.   

L’année suivante, son inéligibilité ayant été levée, Silvio Berlusconi remporte, à 83 ans, un nouveau siège au Parlement européen. Et ce, 18 ans après y avoir prononcé, au moment de prendre la présidence tournante de l’UE en juin 2003, l’une de ses répliques les plus décriées, en conseillant au député allemand Martin Schulz de prendre le rôle du “kapo” (gardien en chef) dans les films sur les camps de concentration nazis.

En septembre 2020, le Cavaliere préparait une autre campagne, pour des élections régionales, lorsqu’il a été testé positif au Covid-19, comme des dizaines de jet-setters de l’été qui ont fait de la Sardaigne un point chaud fin août. Il avait réagi avec sa vantardise légendaire.  “J’ai été diagnostiqué avec l’une des charges virales les plus fortes de toute l’Italie”, a-t-il déclaré lors d’un appel téléphonique avec ses partisans depuis son lit d’hôpital à Milan. “Cela prouve que je suis toujours le numéro un”.

Source: France24.com

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