Considéré comme un cancer qui gangrène les circuits financiers et économiques du développement, c’est au milieu des années 90 que le phénomène de la corruption s’est affirmé dans l’agenda des institutions financières internationales. Depuis lors, de multiples programmes de lutte contre la corruption ont été élaborés et expérimentés en leur sein, dans le cadre du développement des stratégies de bonne gouvernance.
En Guinée, le développement du phénomène de la corruption tire ses racines dans les reformes de privatisation des Entreprises publiques entamées par la seconde République, sous l’impulsion des mêmes institutions financières internationales. Les militaires nouvellement arrivés au pouvoir et certainement sans expérience, vont prendre l’Etat en otage, en le mettant entièrement à leur service et à celui de leurs soutiens. Ce système a nourri et entretenu de nombreuses années de corruption qui ont entrainé la déliquescence de l’Etat.
De nos jours, la Guinée est classée parmi les pays les plus corrompus dans le monde. Elle occupe la 130ème place sur 180 pays de l’indice de la perception de la corruption dans le secteur public selon Transparency International. Dans la même logique, Selon l’économiste Badra DIOUBATE, le montant de la corruption en République de Guinée depuis 1986, se chiffre à 1 milliards de dollars par an, et quant aux rapports précédents de l’ANLC, ils fixent le chiffre annuel à 600 milliards de francs guinéens.
Le CNOSCG rappelle en outre que l’avènement de la 3ème République en 2010 sur fond d’un héritage de gouvernance mitigée, a suscité chez lui comme chez bon nombre de guinéens, un espoir certain quant-à la détermination des autorités à engager des réformes nécessaires pour endiguer et éradiquer le phénomène de la corruption. Le président de la République exprimera cette volonté dès le 7 juin 2011, par la création d’un comité d’audit qui sera rattaché à la présidence.
Ces efforts vont se concrétiser progressivement à travers plusieurs autres actions dont :
L’inscription de la lutte contre la Corruption dans la lettre de mission de tous les membres du gouvernement et l’exigence de la transparence dans tous les processus administratifs ;
L’adoption de la loi portant prévention, détection et répression de la corruption en 2017 ;
La mise en place de l’Autorité de Régulation des Marchés Publics (ARMP);
La création du Centre de Traitement de l’Information financière pour lutter contre le blanchiment d’argent ;
La promulgation de la Loi Organique LO/2013/046/CNT du 18 janvier 2013, portant organisation, attributions et fonctionnement de la Cour des Comptes et le régime disciplinaire de ses membres ;
L’adoption et la promulgation de la Loi 142016/060/AN du 26 Octobre 2016, portant nouveau Code de procédure Pénale ;
L’adoption et la promulgation de la Loi L/2016/059/AN du 26 Octobre 2016, portant nouveau Code Pénal ;
La signature du décret D/2012/128/PRG/SGG du 03 décembre 2012, portant code des marchés publics et délégations de services publics 06-26 ;
L’adoption très récente par le parlement d’une loi portant droit d’accès à l’information publique. Et tout récemment,
La promulgation du décret D/2020/286/PRG/SGG portant contenu du formulaire de déclaration de patrimoine.
En effet, le 13 novembre 2020, le président de la République a introduit dans l’ordonnancement juridique Guinéen, le Décret D/2020/286/PRG/SGG portant contenu du formulaire de déclaration de patrimoine. D’une portée théorique cruciale, ce décret vient compléter l’étape finale de la procédure de déclaration de patrimoine à laquelle sont désormais assujettis tous les agents publics.
Le CNOSCG qui est une entité de veille, d’alerte et de propositions d’actions citoyennes voit en ce décret un instrument clé dans l’exercice de son droit de contrôle, d’évaluation et d’appréciation des politiques publiques.
Toutefois, si le CNOSCG salue les efforts du gouvernement, déployés en faveur de la mise en place de toute une panoplie d’instruments juridico-institutionnels comme mentionnés ci-dessus, il déplore par contre, l’absence d’actions réelles traduisant cette volonté gouvernementale dans l’édification d’une meilleure réponse en matière de prévention et de lutte contre la corruption.
Dès lors, le CNOSCG se propose une réflexion critique du décret D/2020/286/PRG/SGG portant contenu du formulaire de déclaration de patrimoine aux fins d’en ressortir ce qui lui paraît être ses points forts et ses points faibles.
Les forces du décret :
L’intervention salutaire du décret, car permettant de rendre effective, l’obligation constitutionnelle de déclaration des patrimoines des agents publics ;
Il est l’expression d’une volonté politique qui vient combler un vide juridique qui a longtemps mis en panne le mécanisme de prévention et de lutte contre la corruption ;
Il complète la loi L/2017/041/AN du 4 juillet 2017, portant prévention, détection et répression de la corruption et des infractions assimilées, en renforçant et en reprécisant le dispositif à travers l’énumération claire et précise des éléments du patrimoine à déclarer ;
La procédure de déclaration du patrimoine est désormais clairement et précisément définie pour les assujettis ;
Les faiblesses du décret :
Considérant que c’est un décret d’application de la loi L/2017/041/AN du 4 juillet 2017, portant prévention, détection et répression de la corruption et des infractions assimilées ;
Considérant que cette même loi présente quelques ambiguïtés vis-à-vis de la Constitution du 14 avril 2020 dont elle est le prolongement, et lesquelles impacteront logiquement sur l’application dudit décret. Il est dès lors judicieux de commencer par relever et clarifier ces incohérences qui se présentent comme suit :
L’article 66 de la Constitution du 14 avril 2020 dispose « les fonctions de membres du gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat parlementaire, toute fonction de représentation professionnelle, à l’échelle internationale, nationale ou locale, tout emploi public et privé et toute activité professionnelle » et l’article 31 de la loi anti-corruption quant-à lui dispose « Est interdit à tout agent public, l’exercice par lui-même ou par personne interposée, de toute activité commerciale ou lucrative, à l’exception de la commercialisation de ses productions agro-pastorales non industrielles, littéraires, scientifiques et artistiques » l’article 49 de la même loi, abonde dans le même sens.
Observations : la loi apporte des exceptions dans un domaine où la Constitution ne le fait pas. Il est du rôle classique d’une loi Organique en droit, d’intervenir pour détailler et fixer le régime des dispositions condensées de la Constitution. Sauf qu’en l’espèce, la constitution est très claire en son article 66. On pourrait donc déduire à l’inconstitutionnalité des articles 31 et 49 de la loi.
L’inefficacité du mécanisme peut résider au niveau du fait que la Constitution fait intervenir successivement dans la procédure de déclaration de patrimoine, deux institutions constitutionnelles à savoir : la Cour Constitutionnelle (articles 49 et 64) pour la réception des déclarations de patrimoine avec une copie pour la Cour des Comptes. Et l’alinéa 4 de l’art. 64 précise « la cour constitutionnelle est chargée de contrôler les déclarations de biens ainsi que les modalités de déclarations » sachant que le formulaire de déclaration est fourni par la Cour des Comptes.
Observations : il aurait été mieux d’unifier cette procédure au profit d’une seule institution avec une préférence pour la Cour des Comptes dont le domaine d’action technique et l’expérience des ressources humaines en la matière, prédispose à plus d’efficacité et d’efficience.
Le formulaire de déclaration du décret rempli et signé ne précise pas que le dossier doit être assorti de pièces justificatives ou note explicative contre décharge à l’instar du formulaire de déclaration de beaucoup de pays dont le Sénégal. L’intérêt d’une telle précision réside au niveau de la facilité de contrôle ;
Les déclarations de patrimoine doivent impérativement faire l’objet de vérification par des organes qui ont une compétence avérée en la matière. Or, excepté le chef de l’Etat et les responsables des institutions constitutionnelles pour lesquels la Cour Constitutionnelle est compétente en matière de contrôle (art. 49 et 64), aucune disposition ne parle clairement et précisément de la structure habilitée à contrôler, l’exactitude, l’exhaustivité, la sincérité et la véracité des informations contenues dans la déclaration de patrimoines des autres agents publics ;
Constats Généraux sur les mécanismes de lutte contre la corruption :
L’érection de divers organes juridictionnels en instance de réception des déclarations de patrimoine art. (49 et 64 de la Constitution) et art (25 de la Loi anti-corruption) ;
L’existence parallèle de l’Agence Nationale de Lutte contre la Corruption et de l’Organe de Lutte contre la Corruption prévu par l’article 156 de la loi anti-corruption, matérialisé par le décret D/2018/241/PRG/SGG aux compétences confuses. Cette situation empêche la désignation claire de l’Organe National de lutte Contre la Corruption conformément aux recommandations de la convention des Nations-Unies contre la Corruption ;
Le difficile accès du citoyen au journal officiel de la république qui coûte cher (100 000 fg), malgré la consécration du principe Constitutionnel de l’accès à l’information publique ;
Le retard accusé dans la publication d’une loi organique portant droit d’accès à l’information publique pour permettre aux citoyens, aux organisations de la Société Civile et aux journalistes de mieux tirer profit des droits consacrés par la loi anti-corruption (art. 94) ;
La méconnaissance par le plus grand nombre de citoyens Guinéens des droits que consacrent en leur faveur la législation anti-corruption ;
Le déficit de confiance des citoyens quant-à la réelle volonté des autorités de prévenir et de lutter contre les actes de corruption ;
L’absence d’une stratégie nationale de lutte contre la corruption et l’insuffisance des moyens affectés pour une meilleure prise en charge du phénomène ;
La faible capacité technique des structures dédiées à la prévention et à la lutte contre la corruption ;
Maintenant que le dispositif juridique est quasi complet, quels sont les moyens d’ordre humains, techniques et financiers que vont disposer les structures de lutte pour mener à bien leurs missions ;
Malgré la consécration constitutionnelle du principe de déclaration des biens et l’entrée en vigueur de la loi anti-corruption en 2017, le bilan reste très mitigé en termes de poursuite (excepté les cas de l’OGP et LONAGUI)
Recommandations Générales :
Les déclarations de patrimoine devraient être soumises à une périodicité régulière incluant aussi la période de l’exercice du mandat afin que soit possible une vérification de la situation actuelle ainsi que les variations substantielles du patrimoine ;
Prendre des dispositions plus précises et pratiques afin que les déclarations de patrimoine soient plus accessibles au grand public et ce, dans le respect de la vie privée ;
Doter rapidement le pays d’une stratégie nationale de bonne gouvernance et de lutte contre la Corruption ;
Les mécanismes de prévention et de lutte contre la corruption ayant à priori une valeur pédagogique et préventive, il aurait été efficace de désigner à la place des organes juridictionnels compétents actuellement dans la réception des déclarations de patrimoine, des organes administratifs nationaux de lutte contre la Corruption tels que, l’Agence Nationale de Lutte contre la Corruption ou l’Organe de prévention et de Lutte contre la Corruption dans le but d’opérer une distinction entre les autorités qui reçoivent les déclarations de patrimoine et celles qui seront chargées de sanctionner les éventuelles violations ;
Réduire le nombre des structures de lutte contre la corruption tout en les dotant de plus de moyens humains, techniques et financiers pour faciliter les investigations dans les différents cas de corruption soit par dénonciation ou par auto-saisine ;
Développer à défaut, une collaboration interinstitutionnelle poussée des institutions en charge des déclarations des patrimoines (fonctionnement actuel est quasi balkanisé). Cela favorisera une bonne coordination entre acteurs concernés (acteurs financiers, publics ; société civile et tribunaux) ;
Doter les institutions en charges des déclarations des patrimoines des ressources humaines et financiers suffisantes pour réussir leur mission. Pour cela ces institutions devraient avoir accès à temps opportun aux ressources prévues pour le perfectionnement continu du personnel et l’amélioration de la qualité des activités ;
L’érection de l’Organe National de Lutte contre la Corruption en une Autorité Administrative Indépendante à l’instar de l’Office National de lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC) et de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), respectivement du Sénégal et de la France, tout en procédant à une décentralisation fonctionnelle avec la possibilité que soit accordé à ses agents de véritables pouvoirs de police judiciaire ;
La création de l’organe national de lutte contre la Corruption contrairement à la pratique en cours (décret ou arrêté ministériels) par une loi, dans le but de le mettre à l’abri des humeurs dues aux changements de régime ;
La création d’un tribunal spécialisé de lutte contre la corruption à l’instar de la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI) du Sénégal ;
L’initiation par la société civile avec le soutien de l’Etat, d’une vaste Campagne de sensibilisation et de vulgarisation des textes en faveur des agents publics assujettis et de nos populations ;
La promotion et la prévention de la lutte contre la corruption et des infractions assimilées par la société civile telles que préconisée par la loi anti-corruption dans son article 60 et suivants ;
La révision très prochaine de la loi L/2017/041/AN du 4 juillet 2017, portant prévention, détection et répression de la corruption et des infractions assimilées pour une conformité constitutionnelle ;
La mise en place urgente de la Haute Cour de Justice, seul organe constitutionnellement compétent pour juger les membres du Gouvernement pour les cas de crimes et délits (corruption et infractions assimilées) art 121 de la constitution.
Fait à Conakry, le 03 décembre 2020
Dr Dansa KOUROUMA