Enfin, nous y voilà ! Les plus naïfs ne peuvent plus nier l’évidence. Alpha Condé brigue bel et bien le troisième mandat. Le suspense qui n’en était plus un prend fin. On peut néanmoins souligner l’espèce de mise en scène dont le président de la République aura entouré cette troisième candidature. Alors qu’il a probablement toujours nourri cette volonté de s’éterniser au pouvoir, il s’est cependant évertué à présenter ce désir personnel comme l’émanation de ses partisans. Alors que le débat sur cette candidature de trop court depuis le début de son second mandat, il n’en a jamais parlé comme une sollicitation venant de lui. Comme si au fond de lui-même, Alpha Condé éprouvait une certaine gêne à assumer ce choix qui remet en cause son image d’icône ayant consacré plus de la moitié de sa vie sur terre à se battre pour l’instauration de la démocratie et de l’État de droit en Guinée.
Evidemment, personne n’est dupe. Tout le monde a conscience que c’est bien Alpha Condé qui a écrit le scénario et reparti les rôles. Mais il se sera donné un mal fou pour demeurer derrière les rideaux, de bout en bout. Ainsi, même à l’ultime phase de l’annonce de sa candidature, c’est à d’autres acteurs qu’il a confié le soin de le faire. C’est ce qui fait que c’est par le biais d’un communiqué signé de son parti et des partis alliés que la nouvelle est tombée ce lundi 31 août dans le JT de la télévision nationale.
Cette annonce intervenant au lendemain d’un carnaval qui a conduit des jeunes, arborant des T-shirts jaunes (couleur de son parti, ndlr) jusqu’au palais Sekhoutouréyah pour l’implorer de se porter candidat. De même que ces derniers jours, des femmes de la mouvance présidentielle ont sillonné quelques quartiers de la capitale pour, disaient-elle, récolter des contributions des citoyens en vue de réunir la caution que le président sortant devra verser pour faire valider sa candidature. Dans le même ordre d’idée, on rappellera que le 6 août dernier, à l’occasion de la cérémonie de clôture de la convention du RPG-arc-en-ciel, il s’était borné à « prendre acte » de sa désignation par ses partisans comme leur candidat pour la présidentielle du 18 octobre.
Plus tôt dans l’année, à ceux qui lui demandaient le motif du changement constitutionnel qu’il a opéré le 22 mars 2020, il répondait invariablement que c’est pour substituer à la constitution de 2010, une loi fondamentale « progressiste » et en phase avec les exigences du monde moderne. Lui et ses partisans mettaient en particulier un point d’honneur à distinguer le changement de la constitution de sa volonté de briguer un nouveau mandat. Et quand quelques confrères, impertinents, voulaient savoir si à la suite du référendum constitutionnel, il se porterait candidat, il répondait là aussi : « le moment venu, le parti désignera son candidat ». Au-delà, tout au long des cinq dernières années, le président Alpha Condé s’est ingénieusement abrité derrière la « souveraineté du peuple », pour brouiller les pistes et entretenir un semblant de mystère autour de sa volonté de s’octroyer un nouveau bail à la tête du pays.
Il est vrai que généralement, c’est ainsi que les gens procèdent à chaque fois qu’ils ont envie d’engager le projet controversé du troisième mandat. L’initiative est présentée comme l’émanation du « peuple souverain » ; le candidat au troisième mandat passe alors pour quelqu’un qui n’a fait que donner suite à la volonté populaire. Surtout que parallèlement, des mouvements sortent opportunément des quatre coins du pays. Mais ailleurs, les gens finissent toujours pour se dévoiler eux-mêmes. En cela, la stratégie d’Alpha Condé a quelque chose de singulier. A aucun moment, il n’aura assumé. Comme s’il n’était pas très à l’aise avec le choix qu’il vient d’opérer. C’est à croire que pour lui, le troisième mandat est une nécessité. Mais qu’en son for intérieur, il a conscience qu’il risque son aura et sa réputation. Dans cette hypothèse, sa tendance à passer par les autres pour présenter et vendre son projet serait alors destinée à se convaincre lui-même que ce sont ses partisans qui l’invitent à y aller. Une manière pour lui de s’inventer à la fois un motif et un prétexte pour aller à ce nouveau mandat qu’il appréhende finalement.
Boubacar Sanso BARRY