Je savais que la Guinée souffrait de ses élites.
Je ne savais pas que sa République était dans le fossé entre 2005 et 2010, par la faute de ses élites politiques et militaires.
Au commencement, la maladie du Président Lansana Conté.
Tout le monde savait que l’homme était si malade qu’il ne pouvait plus gérer sa propre famille biologique, à plus forte raison l’État.
Malgré tout, les cadres de son Parti, de l’administration et de l’armée n’ont pas osé lever le petit doigt pour le convaincre de préparer sa succession ou se retirer.
Trois ans avant, les mêmes cadres l’ont encouragé à modifier la Constitution en vue de se maintenir au pouvoir, alors que les signes de détérioration de sa santé devenaient de plus en plus évidents.
L’homme doutait au départ.
Il s’est fait convaincre par les mêmes élites qui ont inventé le Koudéïsme.Tout le monde a suivi le mouvement, malgré les insuffisances physiques et les pertes récurrentes de mémoire du Général. Aux faux-décrets, se sont ajoutés les remous des sous-officiers victimes d’injustices dans les avancements en grades.
Du point de vue institutionnel, les élections législatives prévues pour 2005, sont remises aux calendes grecques par la volonté d’un Président visiblement malade.
Pendant ce temps des Officiers supérieurs sont devenus des hommes d’affaires, voire des Parrains du Narco-trafic.
Pendant ce temps, les hauts fonctionnaires, les fameux opérateurs économiques et les cercles mafieux ont pris l’économie et les finances publiques en otage.
La corruption et les malversations, devenues ostentatoires, atteignent des proportions révoltantes. Un triste panorama qui fouette la conscience des syndicats et de la société civile ; l’opposition étant réduite à moins que zéro.
La République a ainsi commencé à s’agenouiller.
Le réveil des syndicats et de la société civile fin 2006 sera le début du déclin d’un régime jusque-là tenu par des Batoulas. Les premières grèves de décembre 2006, suivies par les événements de janvier et février 2007, consacrent l’agenouillement total d’une fière République tenue par un homme impuissant et son cercle désormais restreint de démagogues et d’opportunistes de tout acabit.
Le Gouvernement de consensus, appelé de tous les vœux pour sauver la République, n’a pas résisté aux manœuvres des dinosaures du régime. En second lieu, la déliquescence de la République s’est matérialisée par la manière dont le Président Conté a rendu l’âme dans la solitude, sur son lit, à côté de sa seule épouse, après une longue maladie dont tout le monde présageait l’issue.
Le pire, c’est l’immobilisme et le manque d’anticipation des institutions républicaines et de l’état-major de l’armée.
Chacun est resté dans son coin, sachant que le Président est mourant depuis plusieurs semaines. Aucune disposition institutionnelle pour déclarer son incapacité à gouverner et anticiper sa succession ! Aucune disposition prise par les forces de défense et de sécurité pour maîtriser les casernes, les troupes et les points stratégiques !
Où est la République ? Elle vient de tomber avec Lansana Conté.
Un inconnu viendra la ramasser sous le regard des officiers généraux et des tenanciers des institutions, tous des affairistes, ou presque.
En fin, un jeune Capitaine, Moussa Dadis Camara, est effectivement venu ramasser la République dans des conditions décrites (dignes d’un film indien) par son garde de corps, Aboubacar Diakité TUMBA.
La description du coup d’état du 23 décembre 2008 a fait rire beaucoup de Guinéens.
Pour ma part, j’ai eu honte et j’ai eu pitié pour notre pays.
a) Le simple besoin de faire le coup d’état sans programme ni projet de société ;
b) La manière dont le futur Chef d’Etat est réveillé dans un motel, à l’annonce du décès de son prédécesseur ;
c) La manière dont le Général Toto, le seul Général des postulants, a été humilié et tansé par un Lieutenant qui ne cherche qu’à devenir Garde de corps par la suite ;
d) Le fait que ce Lieutenant soit celui qui décide et qui tranche entre un Capitaine et son Chef hiérarchique (un Colonel).
Sont autant d’éléments qui confirment la déliquescence de la République à ce moment précis de notre histoire.
Aux lendemains du coup d’état, nous sommes servis par des Dadis-Show à la Télévision, par les comportements désobligeants des nombreux éléments incontrôlés de notre armée dans les lieux publics et même dans les ménages.
Par la suite, nous sommes servis par les crimes odieux du 28 septembre 2009, suivi de la tentative d’assassinat de Dadis par son faiseur de roi. Ce sont là les tristes conséquences de la déliquescence de notre société.
Malheureusement, ça nous fait rire.
J’en ai honte.
Mais, soyons réalistes.
À qui la faute ? Pour moi, ce n’est ni Dadis ni Tumba ni Toto ni Konaté !
C’est la faute à la classe dirigeante précédente :
1) C’est la faute au Président Conté qui n’a pas préparé sa succession dans sa propre formation politique.
2) C’est la faute à l’Assemblée nationale de l’époque qui n’a pas pris sa responsabilité par rapport à l’incapacité du Président à gouverner depuis 2006.
3) C’est la faute à toutes les autres institutions républicaines qui sont restées sans initiatives.
4) C’est enfin la faute à l’armée dont les États-majors ne sont pas restés à côté de leur Commandant en Chef pour vivre son dernier soupir, en vue de sauver ce qui restait de la République.
L’histoire a montré que les successions en Guinée ont toujours été inconstitutionnelles. Et ceci par la faute des dirigeants qui se sont érigés en monarques.
Si Sékou Touré avait institutionnalisé ou préparé sa succession, le coup d’état de Lansana Conté n’aurait certainement pas prospéré. Si Lansana Conté avait fait autant, Dadis n’aurait sûrement pas rêvé du pouvoir.
Si Alpha Condé qu’on croyait plus démocrate avait fait autant, Mamady Doumbouya serait certainement resté dans sa caserne avec ses forces spéciales, en attendant les incursions éventuelles des Djihadistes.
Tous les problèmes de la Guinée sont créés par ses gouvernants, ses hauts cadres, sa classe politique et les Officiers supérieurs de son armée.
On dirait que nous sommes allés à l’école pour détruire ce pays !
Au regard de ce qui précède, je pense que nous devons faire violence sur nous-mêmes pour bâtir un État avec des dirigeants, des cadres, des élites et des officiers dignes d’une République, telle que nos devanciers l’ont voulue en 1958. La Guinée doit cesser d’être la risée d’un continent qui l’avait prise pour sa lumière.
Le procès en cours doit nous donner à réfléchir pour l’avenir d’une Guinée civilisée, unie et émergente.
Puisse DIEU nous éclairer.