Henry Kissinger a mis le mot ‘détente’ au goût du jour dans les années 1970 lors de ses rencontres avec le N.1 soviétique Leonid Brejnev.AFP FILES / AFP
C’est aussi lui, Kissinger, qui met au goût du jour le mot français « détente » en négociant avec l’URSS le traité SALT sur la limitation des armes stratégiques dans le but évidemment de mettre un frein à la course aux armements… mais aussi de faire des économies alors que le Vietnam et le programme spatial s’avèrent des gouffres à dollars. Parallèlement, il entame en secret un rapprochement diplomatique avec la Chine, pays dont il va devenir, au fil des ans, un expert avisé, témoin son livreDe La Chine, paru en 2011. Ce travail de l’ombre débouche surla visite de Richard Nixon à Pékinfin février 1972, la première visite d’un président américain en République populaire. Derrière la nécessaire normalisation des relations sino-américaines se cache une tactique de triangulation qui vise à contrarier Moscou.
Nixon réélu en novembre 1972, celui qui est devenu « Dear Henry » apporte la touche finale auxAccords de Parisqui scellent, le 27 janvier 1973 dans la capitale française, l’armistice entre les États-Unis et les différentes forces en présence au Vietnam, mettant ainsi un terme à dix ans de conflit. L’euphorie est telle dans le monde que Kissinger reçoit quelques mois plus tard le prix Nobel de la paix 1973 conjointement avec le nord-vietnamien Le Duc Tho. Cette récompense en a fait tousser beaucoup depuis, côté sud vietnamien en particulier, car Le Duc Tho conduira en 1975 l’offensive qui mènera à l’instauration de la dictature communiste jusqu’à Saïgon, future Hô-Chi-Min-Ville. Après lui avoir officiellement confié le poste de secrétaire d’État, Nixon lui donne également carte blanche pour négocier avec l’Égypte et Israël après la Guerre du Kippour fin octobre 1973, un conflit qui a suscité de nouvelles tensions américano-soviétiques et qui va provoquer le premier choc pétrolier, suite à l’embargo des pays arabes à destination des pays occidentaux.
Au mitan des années 1970, la popularité d’Henry Kissinger, aux États-Unis et en dehors, est à son zénith, d’autant qu’il n’est touché ni de près ni de loin parle scandale du Watergatequi pousse Nixon à démissionner le 9 août 1974. Et si ce n’était cette fâcheuse règle qui rend inéligible les citoyens qui ne sont pas nés américains, nul doute que le natif de Fürth aurait tenté sa chance pour la présidence des États-Unis, ne serait-ce que pour satisfaire un ego de dimension continentale, si l’on en croit de nombreux témoignages. Dans le nouveau gouvernement de Gerald Ford, Kissinger garde bien entendu son poste de secrétaire d’État qu’il va conserver jusqu’en janvier 1977, date de l’arrivée du démocrate Jimmy Carter à la Maison Blanche.
Un bilan contrasté
Tout au long de sa vie ou presque, Henry Kissinger (ici avec Barack Obama en 2010) aura eu l’oreille des présidents.
Tout au long de sa vie ou presque, Henry Kissinger (ici avec Barack Obama en 2010) aura eu l’oreille des présidents.Reuters
Ces deux dernières années à Washington seront moins spectaculaires alors que pointent les premières critiques sur son véritable bilan au Vietnam (bombardements illicites au Cambodge et au Laos), sur le coup d’État contre Salvador Allende au Chili (imputé à la CIA) et sur l’invasion du Timor Oriental par l’Indonésie de Suharto (soutenue par les États-Unis). Ces trois tragédies historiques lui seront notamment reprochées dans deux livres à charge:Les Crimes de Monsieur Kissingerdu britannique Christopher Hitchens (2001) qui l’accuse de crimes de guerre etThe Flawed Architect(L’Architecte Défaillant) du Finlandais Jussi Hanhimäki (2004). Eloigné des sphères de décision pour la première fois depuis près de vingt ans, l’ancien secrétaire d’Etat retourne alors enseigner à Georgetown, université basée à Washington. Il garde quand même une influence considérable et apporte son soutien à la campagne du futur président Ronald Reagan.
Une fois élu, Reagan le tient néanmoins à distance, le trouvant trop conciliant avec les Russes. Dès lors, Henry Kissinger va user de toutes ses relations pour entamer une troisième vie très lucrative à la tête de Kissinger Associates, un cabinet de conseil juridique où il a pour clients des multinationales comme American Express, Coca-Cola, Lockheed ou Fiat, notamment pour la négociation de leurs contrats à l’étranger. Ses partenaires au cabinet se nomment entre autresPaul Bremer,Lawrence Eagleburger,Timothy Geithner,Bill RichardsonouBrent Scowcroft, rien que des personnalités de premier plan. Parallèlement, il entre au conseil d’administration de nombreuses entreprises, mais aussi à celui de la défunte Ligue Nord-américaine de football (NASL) car ce grand fan de Franz Beckenbauer (qu’il contribua à faire venir au New York Cosmos au début des années 1980) a gardé de son enfance en Bavière une ardente passion pour le ballon rond.
Désormais plus maître de son emploi du temps que lorsqu’il était à la Maison Blanche, il publie neuf livres entre 1981 et 2014, dont le très épaisDiplomatie(900 pages) en 1994,La Nouvelle Puissance Américaineen 2001,De La Chineen 2012 etL’Ordre du Mondeen 2014, tous considérés comme des ouvrages de référence, chacun dans leur domaine. Nommé par George W. Bush au sein de la commission d’enquête sur les attentats du 11 septembre 2001, il finit par renoncer quand on lui demande de révéler le nom de ses clients chez Kissinger Associates pour éviter tout conflit d’intérêt. En janvier 2023, il avait plaidé pour un soutien continu à l’Ukraine, qui devrait selon lui rejoindre l’Otan. Toujours hyperactif malgré l’âge et une opération du cœur subie en 2014, il a joui jusqu’à son décès aujourd’hui d’un statut particulier dans le paysage diplomatique américain et mondial, celui d’un fin négociateur qui aura grandi sous Hitler, servi sous Roosevelt, conseillé Nixon, rencontré Mao et affronté Brejnev tout au long d’un parcours hors du commun.
L’hommage de Pékin à Henry Kissinger
Henry Kissinger, la figure emblématique de la diplomatie américaine était très connu en Chine, où ce jeudi 30 novembre, le gouvernement lui rend hommage, écrit notre correspondant à Pékin,Stéphane Lagarde.
Sourire, grand front et lunettes inchangées depuis ses jeunes années, le visage d’Henry Kissinger est de retour sur les comptes des médias d’État ce matin en Chine. Celui qu’on appelle ici «Ji Xin Ge» en mandarin était sur toutes les lèvres encore à la pause déjeuner. «C’est un ami de la Chine, on le voyait beaucoup dans ma jeunesse», nous confiait toute à l’heure une septuagénaire en faisant son marché. L’«amitié» un terme également employé par le numéro un chinois cité par leGlobal Times: «Nous n’oublions jamais nos vieux amis, ni vos contributions historiques à la promotion des relations sino-américaines et au renforcement de l’amitié entre nos deux peuples» a déclaré Xi Jinping.
Plus de 100 visites en Chine en 100 ans
Un nom et le chiffre 100 : En un siècle d’existence, l’ancien universitaire devenu secrétaire d’État est revenu plus de cent fois en Chine, selon leWashington Post. La première fois en 1971, la dernière en juillet 2023. Il a 52 ans lorsqu’il vient préparer la visite de Richard Nixon, prémices à la reconnaissance de la Chine de Mao par les États-Unis et à l’établissement des relations bilatérales en 1979. Unerealpolitikmarque de fabrique de Kissinger qui n’est pas loin du pragmatisme réaliste de la diplomatie chinoise. Une proximité avec Pékin marquée encore lorsque l’ancien géant de la diplomatie américaine critiquait la guerre commerciale États-Unis-Chine sous l’administration Trump, facteur selon lui d’instabilité et potentiel déclencheur d’une troisième guerre mondiale.
Avec RFI