ENTRETIEN. À la suite de l’émoi provoqué par les incendies en Afrique subsaharienne, en écho à ceux d’Amazonie, Jérôme Koumba, expert en questions environnementales, a répondu au « Point Afrique ».
Observateur depuis près de trente ans de l’évolution qui s’est opérée depuis la Conférence de Rio sur le climat en 1992, Jérôme Koumba connaît bien son affaire dès qu’il s’agit de parler Management de Environnement, développement durable, responsabilité sociétale des entreprises et normalisation internationale. C’est dire qu’il distingue facilement le vrai de l’ivraie quant à l’appréciation qui est portée sur l’approche et la gestion de ces questions sur le continent africain. Face à la situation qui a récemment prévalu mettant en exergue la réalité d’une Afrique dont les forêts se consument aussi à grande vitesse comme en Amazonie, il a accepté de répondre aux questions du Point Afrique.
Le Point Afrique : Les incendies en Amazonie ont réveillé l’information selon laquelle les forêts africaines brûlent aussi. Quel est l’intérêt de se pencher sérieusement sur le sort de celles-ci ?
Jérôme Koumba : Du point de vue écologique, les forêts jouent un rôle fondamental sur l’équilibre de la planète parce qu’elles absorbent le gaz carbonique qui est l’élément qui nous fait le plus de mal à nous humains à cause de l’effet de serre. Dans le même temps, ces forêts rejettent aussi de l’oxygène qui nous fait du bien. Ce qui veut dire que s’il y a des feux de forêt, nous perdons en partie l’élément principal qui nous permet de lutter contre les gaz à effet de serre dans l’atmosphère, d’où l’intérêt de protéger nos forêts.
Peut-on craindre qu’au niveau international, il y ait deux poids deux mesures quant au traitement de questions impactant le changement climatique ?
On peut avoir des craintes sans pour autant parler de deux poids deux mesures. La planète est une, quand on parle de pollution et autres, il n’y a pas de frontière. La question devrait plutôt porter sur les sources. La pollution, par exemple, n’est pas que d’origine industrielle. Si on prend les gaz à effet de serre, l’automobile en Afrique fait de grands dégâts avec tous ces rejets de particules dans l’air en particulier dans les villes. Donc, il doit y avoir des politiques, des mesures qui doivent être prises spécifiquement pour le continent. Au lieu du deux poids deux mesures, il devrait avoir une entente internationale qui obligerait chaque pays à prendre ses mesures et jouer sa propre musique. En ce qui concerne les alertes cette semaine et des annonces pour le Brsésil, disons que peut-être que les dirigeants du G7 se sont surtout occupés de celui qui criait le plus fort. Et sûrement qu’ils se sont dit qu’il fallait faire quelque chose pour ce cas urgent. Au Brésil au niveau de l’Amazonie, il faut regarder de plus près et investiguer sur les différentes sources des incendies. Certains sont indéniablement causés par l’homme, mais, pour d’autres, le changement climatique a aussi un grand impact. Il en va de même en Afrique, car la culture sur brûlis dont on a beaucoup parlé est pratiquée, mais à certaines périodes, c’est par saison, donc là aussi le changement climatique, les fortes hausses de température y sont pour beaucoup. Il faut des plans nationaux pour réguler toutes ces activités et les répertorier, sinon ça peut partir un peu dans tous les sens et apporter des confusions, comme c’est le cas actuellement.
On a justement beaucoup parlé du cas du bassin du Congo, quelle est la situation ?
Dans cette région, la préservation des forêts tient une grande place. Je vous signalerai qu’il y a des initiatives lancées comme le Fonds bleu, l’organisation africaine autour du bassin du Congo, etc., qui, malheureusement, ne retiennent pas l’attention. C’est comme s’il avait fallu attendre le G7. Or le Congo, par exemple, a formé des écogardes de tous niveaux et grades. Dernièrement, j’ai eu l’information selon laquelle on avait formé pas moins de 130 personnes parmi lesquelles des lieutenants, des commandants avec un certain nombre de moyens financiers et techniques pour tenter de conserver les ressources forestières. Mais il faut quand même souligner que toutes ces actions sont toujours timides..
Quel rôle joue aujourd’hui l’Afrique dans les processus de préservation de l’environnement ? Est-elle leader ou se contente-t-elle de suivre ?
Il serait excessif de dire que les pays africains ne font que suivre parce que, malgré tout, il y a toujours des ministères dédiés à l’environnement ou au développement durable. On n’a pas toujours les résultats attendus, mais il y a quand même des choses qui se font. Là où le bât peut blesser, c’est le fait que l’Afrique fait face à une double problématique : c’est, d’un côté, promouvoir le développement et, de l’autre, lutter contre la pauvreté. Face à ces deux priorités, la question de l’environnement arrive bien souvent en arrière-plan. Ça ne veut pas toujours dire qu’on néglige ces questions, mais les gouvernants sont plus préoccupés d’abord par les questions d’éducation, de nourrir les gens, et puis seulement après on pense aux questions environnementales. Cela ne veut pas forcément dire qu’on est des suiveurs. Ce qui manque souvent à l’Afrique, c’est comment intégrer les projets environnementaux dans les programmes nationaux. La question qui doit être posée est la suivante : lorsqu’on bâtit des plans de développement, quelle est la place que l’on souhaite donner à l’environnement ?
Au regard de cette réalité, où en est l’Afrique aujourd’hui dans son rapport à l’environnement ?
On parle d’environnement, on organise de grandes conférences internationales, etc. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais on a commencé à parler du développement durable en 1992 et chaque pays présentait son gros cahier rempli, on ne parlait que de Rio, mais de 1992 à aujourd’hui 2019, il n’y a pas beaucoup de pays qui ont fait des progrès. Et sur les volets développement durable et environnement, l’Afrique ne fait pas un grand pas. Si vous prenez depuis le sud du Sahara jusqu’à la zone équatoriale, on a une mosaïque d’environnements, quand même. Maintenant, que fait l’Afrique par rapport à tout ce qui est énergie propre, solaire, éolienne, géothermie ? On devrait quand même se préoccuper un peu plus des ressources naturelles que nous avons à disposition pour pouvoir nous occuper d’environnement, mais on ne fait pas grand-chose autour de ces ressources même si ça commence à prendre. C’est quelque chose qui vient toujours en second plan. Mais c’est vite oublier que la santé et l’éducation vont de pair avec l’environnement.
Il y a les incendies, mais il y a aussi les inondations qui questionnent l’Afrique dans sa manière d’anticiper les catastrophes impactantes sur les plans écologique et humain. L’Afrique se donne-t-elle les moyens de ne pas subir les événements ?
Il y a eu des catastrophes naturelles sans précédent ces derniers mois avec le cyclone Idai qui a touché le Mozambique, l’Angola, le Malawi, le Zimbabwe, une partie de l’Afrique du Sud et Madagascar. Pourquoi on attend que ça arrive ? C’est toujours la même chose. On ne prend pas assez la mesure de ce qu’il va se passer dans un an, dans deux ans, dans cinq ans ou vingt ans. Les pays africains fonctionnent toujours dans l’immédiat, dans la réaction, et c’est comme s’il n’y avait pas de stratégie sur le long terme. Quand vous prenez les différents programmes nationaux, dans d’autres domaines, ils ne vont jamais assez loin, sur vingt ou trente ans par exemple ; ce sont toujours des petits projets, avec cette manière de travailler, vous n’anticipez pas assez l’avenir, il y a une sorte d’antinomie en matière de gouvernance. Anticiper veut dire regarder à long terme.
Où en est l’Afrique aujourd’hui par rapport aux objectifs majeurs de la COP21, qui ont été un vrai tournant pour le monde ?
La COP 21 a été une sorte de boom écologique, chaque pays était parti avec beaucoup d’ambitions, mais le problème, ce sont les engagements pris à cette COP 21. Les pays riches avaient promis une aide de 100 milliards de dollars par an pour accompagner les pays du Sud à s’adapter aux changements climatiques. Tout le monde sait que cette aide tarde à se concrétiser. Et l’Afrique avec ses difficultés assez complexes attend toujours l’aide extérieure soit de l’Union européenne, soit des nations unies. À ce rythme-là, même ce qui a été envisagé et promis pour la COP21 au niveau de chaque pays ne sera pas tenu, vous n’aurez pas de résultats. Parce qu’il y a des pays qui attendent ces aides et qui justifient leur inaction ou manque de résultats par l’absence de cette aide qui tarde, surtout que ce sont les pays industriels qui sont à l’origine de la plus grande pollution, donc on peut toujours attendre, ça fait mal, car on peut faire autrement, en mettant en place des centres de recherches pour avoir des technologies à partir de nos ressources naturelles, et développer nos propres énergies pour ne pas reproduire les erreurs des pays du Nord.
Est-ce qu’il y a des pays qui se distinguent ?
L’Afrique du Sud et le Maroc sont des leaders en Afrique sur la prise en compte des questions d’environnement et même sur la mise en route des stratégies arrêtées par la COP21. Ces deux pays ont associé volonté et courage. Ils sont passés à l’action depuis plusieurs années avec des projets concrets associant recherches et développement. Mais surtout, la différence de ces pays est qu’ils ont accordé un budget conséquent, 20 % minimum, à leurs ambitions environnementales. Je dis qu’avec 3 %, parfois même 0,5 % de budget consacré à l’environnement, on ne peut rien faire et on n’obtient aucun résultat ! Donc si vous voulez, le secret de l’Afrique du Sud et du Maroc, c’est de se dire qu’ils vont aller loin alors que dans les autres pays il y a de la frilosité.
Quelles dispositions politiques, culturelles, économiques et sociales l’Afrique devrait-elle prendre pour faire de ses espaces verts (forêts et savanes) des lieux de création de valeur économique et de contribution écologique ?
Ça va demander des sacrifices financiers importants. Ce ne sont pas les espaces qui nous manquent, nous avons des forêts, nous avons des savanes, des espaces verts…, nous pouvons très bien imaginer qu’ils servent pour le tourisme. Il faut pouvoir imaginer qu’à ces espaces de vie sociaux puissent venir s’arrimer des projets économiques liés au tourisme et aux loisirs, pourquoi pas. Et les pays n’en sortiront que gagnants.
SOURCE: LEPOINT