Obtenir un second mandat pourrait le mettre à l’abri de bon nombre de chefs d’accusation potentiels, du fait de la prescription.
WASHINGTON – Si Donald Trump semble vouloir remporter les prochaines élections avec plus de désespoir que la plupart des candidats, il a sans doute une bonne raison: en général, les présidents n’ont pas à s’inquiéter d’aller en prison en cas de défaite.
Cependant, ses actes ces dernières années – acheter le silence d’une star du porno, réclamer un énorme remboursement d’impôts, faire obstruction à une enquête sur les liens entre sa campagne et la Russie –, alliés à un délai de prescription sur le point d’expirer, font que le résultat des élections pourrait avoir bien plus de conséquences pour Donald Trump que pour ses prédécesseurs.
S’il obtient un second mandat, la date limite pour engager des poursuites pénales pour un certain nombre de ces chefs d’accusation sera atteinte dans les quatre prochaines années, étant donné que le ministère de la Justice a choisi de ne pas poursuivre un président en exercice. En revanche, s’il perd, il pourrait être rapidement mis en examen.
“Pour lui, remporter cette élection n’est pas une option mais une nécessité”, résume Michael Cohen. L’ex-avocat personnel – et “homme à tout faire” – de Donald Trump a notamment été condamné pour avoir illégalement acheté le silence d’anciennes maîtresses du candidat avant l’élection de 2016.
“Il sait que si ses déclarations de revenus sont dévoilées, lui et ses enfants – Donald Jr, Ivanka, Eric – et d’autres proches seront accusés de fraude fiscale, ce qui ne lui coûtera pas seulement sa liberté mais son entreprise tout entière”, assure Michael Cohen.
Ni la Maison Blanche ni l’équipe de campagne de Donald Trump n’ont accepté de répondre à nos questions sur le sujet.
Le président était déjà désigné sous le nom de “premier individu” lors du procès de son ex-avocat. Le délai de prescription pour de nombreuses infractions pénales fédérales étant de cinq ans, la date limite sera atteinte fin 2021 dans les affaires de paiements illégaux aux maîtresses de Trump.
Daniel Goldman, ex-procureur fédéral qui, il y a un an, était l’avocat principal en charge de la procédure de destitution de Donald Trump devant la Chambre des représentants, affirme qu’en 2021 l’ex-président potentiel risque aussi d’être accusé de corruption pour avoir gracié son conseiller Roger Stone, condamné à une peine de prison, et d’extorsion pour avoir tenté d’obliger l’Ukraine à salir la réputation de son rival politique, Joe Biden. Trump a fait l’objet d’une procédure de destitution pour ce délit, mais il a été autorisé par le sénat (à majorité républicaine) à conserver ses fonctions.
“Il a tellement d’affaires criminelles sur le dos!” souligne Nick Ackerman, ex-procureur fédéral, qui avait fait partie du groupe de travail créé pour enquêter sur Richard Nixon en 1972 dans le cadre de l’affaire du Watergate.
Les procureurs ne pourront vraisemblablement pas examiner les fraudes fiscales ou bancaires potentiellement commises par Donald Trump durant les trois premières années de son premier mandat s’ils doivent attendre la fin du second, en janvier 2025. Idem pour les tentatives du président d’étouffer dans l’œuf les enquêtes menées de 2017 à 2019 par le procureur spécial Robert Mueller sur l’aide que lui a apportée la Russie pour lui assurer la victoire aux dernières élections.
“Encore une fois, le délai [pour engager des poursuites] expirerait pendant son second mandat”, rappelle Nick Ackerman.
Bien que la loi n’interdise pas de poursuivre un président en exercice à l’échelle fédérale, un procureur new-yorkais a déclaré à la Cour suprême lors d’un procès impliquant les registres commerciaux de Donald Trump qu’il n’ignorait pas les contraintes temporelles auxquelles est soumis le président.
“Nous sommes conscients qu’en tant qu’agent de l’État, notre bureau ne peut enquêter sur une action entreprise par le président dans le cadre de ses fonctions, ni poursuivre un président en exercice”, a admis Carey Dunne, avocat général du bureau du procureur de Manhattan dans une plaidoirie orale, en mai dernier.
La perspective d’être poursuivi en justice et incarcéré pourrait expliquer la fébrilité de Donald Trump ces derniers mois, et son usage répété et parfois abusif des pouvoirs conférés par sa fonction pour s’assurer d’être réélu.
Au printemps, un courrier envoyé à chaque foyer américain par le centre américain de contrôle et de prévention des maladies au sujet du coronavirus mettait bien en évidence le nom du président, bien que ce dernier ait passé des mois à minimiser la gravité du virus, allant jusqu’à prétendre qu’il s’agissait d’un canular. Quand le Trésor a envoyé des chèques de 1 200 $ aux Américains, ils portaient eux aussi le nom de Donald Trump.
Plus récemment, Trump a ignoré les avertissements des spécialistes de la santé publique, qui préconisaient d’éviter les grands rassemblements, et repris ses rallies de campagne à un rythme effréné, les estimant essentiels pour remporter l’élection du 3 novembre. Il a recommencé à minimiser le virus et affirme, contre toute évidence, que la pandémie est sur le point de se terminer.
Le 20 octobre, il a rajouté de l’eau au moulin de ses accusations de “corruption” sans fondement à l’encontre de Joe Biden, en exigeant du ministre de la Justice, William Barr, qu’il ouvre une enquête sur son rival: “Il faut que le ministre de la Justice agisse. Il doit agir, et il doit agir vite”, a-t-il ainsi déclaré au cours d’une longue interview accordée à Fox News. “C’est un cas très grave de corruption, et ça doit se savoir avant l’élection.”
Aux États-Unis, on mène généralement la vie dure aux candidats battus à l’élection présidentielle. Cette étiquette de “perdant” leur colle à la peau. Le Démocrate Jimmy Carter a été méprisé, y compris par de nombreux membres de son parti, après sa défaite face à Ronald Reagan en 1980. Le républicain Bob Dole, sénateur de longue date, s’est retrouvé à faire des publicités pleines d’autodérision à la télévision après avoir perdu l’élection de 1996 face à Bill Clinton.
Toutefois, même si ces candidats et bien d’autres ont dû faire face à l’ignominie, ils n’ont jamais eu à s’inquiéter de la possibilité d’être mis en prison pour des années en cas de défaite.
Le seul précédent envisageable dans l’histoire de la politique américaine est le cas du républicain Richard Nixon, qui a démissionné en 1974 après que des sénateurs de son parti lui ont fait comprendre qu’ils ne le soutiendraient pas si une demande de destitution motivée par son rôle dans le scandale du Watergate était présentée devant la Chambre. Gérald Ford, nommé vice-président en 1973 après la démission de Spiro Agnew (lui-même mis en examen pour corruption), a gracié M. Nixon un mois à peine après lui avoir succédé. “Je ne peux prolonger ces mauvais rêves qui s’entêtent à rouvrir un chapitre clos”, a-t-il déclaré dans une allocution préenregistrée de 10 minutes, prononcée depuis le bureau ovale.
De même, ce n’est pas parce que Donald Trump pourrait faire l’objet de poursuites pénales que cela sera forcément le cas.
Joe Biden, qui mène sa campagne sur le thème de l’unification du pays et de sa “guérison” après la présidence Trump, s’est engagé en mai, dans un entretien sur MSNBC, à ne pas gracier Donald Trump. Il a cependant déclaré qu’il n’engagerait pas son ministre de la Justice à agir dans un sens ou un autre. “Ce n’est pas du ressort du président de décider d’engager des poursuites ou de classer une affaire”, a souligné M. Biden.
D’autres, cependant, y compris des républicains, affirment qu’il est essentiel, pour que les choses reviennent à la normale, qu’un président aussi régulièrement et ouvertement criminel que Donald Trump doive rendre des comptes.
“Pour l’intégrité de la constitution de notre république, il faut que nos élus soient tenus responsables de leurs actes. Cela vaut aussi pour Trump”, insiste Rick Tyler, consultant républicain qui a travaillé sur la campagne du sénateur Ted Cruz en 2016.
“Nous ne pouvons pas récompenser un comportement criminel, que ce soit celui de Trump ou de n’importe laquelle des crapules qui travaillent pour lui au Cabinet, à la Maison Blanche ou ailleurs”, LIRE LA SUITE SUR HUFFPOST