La dot traditionnelle n’est plus ce qu’elle était sur le continent africain. Considérée dans le passé comme sacrée et symbolique, elle est devenue, au fil des années, “le prix de la mariée”. Les tarifs atteignent parfois des sommets insoupçonnés.
Le député béninois Nazaire Sado ne cache pas son inquiétude. Il assiste, depuis quelques années, à une montée en flèche des dépenses liées aux cérémonies de la dot dans son pays. Les plus aisés dépensent des fortunes et les pauvres veulent en faire autant, déplore-t-il. “Pour exister à côté du riche, le pauvre est obligé de se plier en deux, en bradant parfois ses biens ou en s’endettant pour doter sa future épouse”, explique-t-il à franceinfo Afrique.
Une coutume dévoyée par le pouvoir de l’argent
Le phénomène de la dot monétisée s’est répandu comme une traînée de poudre aux quatre coins du continent. Les témoignages abondent, du Bénin à l’Afrique du Sud, en passant par le Ghana, la République démocratique du Congo et le Sénégal. Dans ce dernier pays, la dot n’est exigée que si les époux le décident : une modeste somme de 3000 francs CFA ( à peine cinq euros) attribuée à l’épouse et des frais de réjouissances fixés à 15 000 francs CFA (23 euros) pour convoler en justes noces.
Mais dans la pratique, ces dispositions de la loi ne sont jamais respectées. Le prix de la mariée atteint parfois plusieurs millions de francs CFA. Le jeune Sénégalais Ibrahima en sait quelque chose, il s’est marié en 2018 au prix fort.
“J’ai apporté une dot d’un montant de 500 000 francs CFA (760 euros) à ma fiancée. Mais son père m’a rendu ma dot. Il me réclamait un million (1520 euros) pour sa cadette“, témoigne-t-il sur le site d’information Teranga News. Il en a gardé un très mauvais souvenir.
Le malheur, c’est de tomber amoureux d’une fille dont les parents ne jurent que par l’argent Moussa, jeune marié sénégalais à Teranga News
Des parents qui ne jurent que par l’argent, il y en a de plus en plus en Afrique. En République démocratique du Congo, “le prix de la mariée” pousse de nombreux jeunes à renoncer au mariage. Certains abandonnent en cours de route, faute de moyens.
“Voilà bientôt un an que mon petit ami est venu chez nous pour demander ma main. Mais la liste qu’il a reçue l’a découragé. On a exigé de lui une moto, un téléviseur et une enveloppe de 5000 dollars“, témoigne la jeune Espérance sur le site Globalpressjournal.
En Afrique du Sud, une application pour mobile a même vu le jour, il y a quelques années, pour calculer le coût de la dot à consentir pour sa fiancée. L’équivalent de la dot dépend “des attributs physiques, de l’éducation et du passif marital” de la future épouse. L’enveloppe varie entre 380 et 3000 euros. Sans compter les vaches qui l’accompagnent.
Des jeunes dénoncent “une pratique archaïque”
Sur les réseaux sociaux, la colère gronde. Des jeunes Africains, femmes et hommes confondus, dénoncent une pratique devenue archaïque. “Non, nous ne sommes pas des marchandises à vendre“, clament-ils. Ils dénoncent une coutume dévoyée qui avilit la femme et qui encourage les violences conjugales.
“La marchandisation de la femme crée parfois des problèmes après le mariage. Certains hommes pensent que la dot dont ils s’acquittent leur donne le droit de vie et de mort sur leurs femmes“, reconnaît le député béninois Nazaire Sado.
Faut-il interdire purement et simplement la pratique de la dot, comme le souhaitent les détracteurs de cette coutume ? Pas du tout, répond, sans hésiter, la Béninoise Isabelle Akouhaba Anani. Professeur à l’université d’Abomey Calavi au Bénin, elle a consacré une étude très fouillée à la question de la dot en Afrique de l’Ouest. Elle fait remarquer que même dans les pays comme la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, où la pratique de la dot est formellement interdite par la loi, cette coutume traditionnelle est pratiquée au vu et au su de tout le monde.
“En Côte d’Ivoire, l’interdiction est assortie de sanctions pénales qui vont de six mois à deux ans de prison et des amendes. Mais je doute qu’un juge ivoirien puisse mettre en prison ceux qui contreviennent à cette interdiction. La pratique est solidement ancrée dans la coutume du pays“, explique Isabelle Anani à franceinfo Afrique.
“La dot, un grand symbole culturel et spirituel”
Pour le député béninois Nazaire Sado, la dot est non seulement un grand symbole culturel, mais il revêt aussi un caractère spirituel gravé dans la conscience collective.
Lorsqu’une femme est dotée, elle a l’obligation d’être fidèle à son mari. Au cas où elle ne l’est pas, elle meurt Nazaire Sado, député béninois à franceinfo Afrique
Comment, dès lors, concilier une tradition qui a traversé des siècles avec une société africaine qui se modernise ? Pour Nazaire Sado, il faut réglementer la pratique de la dot par la loi en fixant une somme maximum à consentir par les familles. Pas plus de 300 000 francs CFA, estime-t-il. Interrogée par Franceinfo Afrique, Isabelle Anani estime, quant à elle, que la dot ne devrait pas être imposée.
“La dot devrait être plutôt facultative et confiée, non pas aux familles, mais au futurs époux. C’est à eux qu’il revient de dire si ils ont envie de faire la dot ou pas. Il faut éviter que la dot soit un frein pour leur union et leur droit au mariage“, plaide-t-elle. Isabelle Anani soutient que la dot en elle-même n’est pas une mauvaise chose. Le problème qui se pose, explique-t-elle à franceinfo Afrique, c’est son côté purement mercantile.
SOURCE : FRANCETVINFO