Certains Ivoiriens attendent de voir. D’autres de Yopougon à Gagnoa, en passant par Blokoss, les fiefs de l’ex-président Laurent Gbagbo, jubilent déjà. Après plusieurs mois d’attente, l’ex-chef d’État, Laurent Gbagbo a récupéré, ce vendredi 4 décembre, ses deux passeports, l’un ordinaire, l’autre diplomatique, signé du président Alassane Ouattara. Ils lui ont été remis par la cheffe de cabinet du ministre ivoirien des Affaires étrangères et de l’ambassadeur de Côte d’Ivoire à Bruxelles. Depuis son arrestation en avril 2011, Laurent Gbagbo n’avait plus de document de voyage.
Désormais, l’ex-président espère rentrer en Côte d’Ivoire, et ce, dans le courant de ce mois de décembre. Un retour au pays attendu par ses partisans depuis neuf ans et peut-être une chance de voir le climat politique, toujours tendu après l’élection présidentielle d’octobre, s’apaiser ?
Un acte qui « va dans le sens de l’apaisement » pour le clan Gbagbo
En liberté conditionnelle à Bruxelles après son acquittement en première instance par la Cour pénale internationale (CPI), « le président Laurent Gbagbo a reçu ce jour (vendredi) deux passeports, un ordinaire et un diplomatique » a déclaré son avocate Me Habiba Touré dans un communiqué. « Il envisage de rentrer en Côte d’Ivoire au cours du mois de décembre », a très clairement fait savoir l’avocate, expliquant que Laurent Gbagbo avait demandé au secrétaire général du Front populaire ivoirien (FPI, le parti qu’il a fondé), Assoa Adou, d’ « approcher les autorités compétentes afin d’organiser son retour dans la quiétude ».
Une source proche de la présidence ivoirienne a confirmé que deux passeports lui avaient été délivrés.
Laurent Gbagbo, âgé de 75 ans, avait été arrêté à l’issue de la crise post-électorale de 2010-2011 ? née de son refus d’accepter sa défaite face à Alassane Ouattara à la présidentielle et qui avait fait 3 000 morts ? et transféré à la CPI en 2011. Il a été acquitté de crimes contre l’humanité en première instance en janvier 2019. Un appel est toujours à l’étude.
L’ex-président, toujours très populaire chez ses partisans, a « salué » la délivrance de ce passeport comme étant un « acte qui (?) va dans le sens de l’apaisement » et demande aux autorités ivoiriennes « de faire encore un pas de plus vers la décrispation du climat sociopolitique ».
Le climat est toujours tendu un mois après l’élection présidentielle qui a vu la réélection du président Alassane Ouattara pour un troisième mandat controversé, un scrutin émaillé de troubles qui ont fait au moins 85 morts et près de 500 blessés.
« Ce retour de Laurent Gbagbo, qui a quasiment une image de martyr après ses années de prison à la CPI, est une façon pour le régime du président Alassane Ouattara d’apaiser le climat sociopolitique tendu, maintenant qu’il a été réélu », estime le politologue Sylvain N’Guessan. Gbagbo « revient avec une aura qui va galvaniser sa famille politique et devrait susciter une nouvelle dynamique pour l’opposition », ajoute-t-il.
« Voici une chose de faite, s’est réjouie l’ex-première dame de Côte d’Ivoire Simone Gbagbo, notre président, notre leader a enfin reçu un passeport diplomatique et même un passeport ordinaire. Prions Dieu pour qu’il revienne le plus rapidement possible parmi nous. Il doit prendre sa part dans le combat. Apprêtons-nous, attendons-le, cela va être une grande fête. »
Négociations avec le pouvoir
Le feuilleton du passeport durait depuis plusieurs mois. Me Habiba Touré avait accusé en juillet les autorités de le lui refuser, notamment pour qu’il ne puisse pas rentrer dans son pays pour la présidentielle du 31 octobre.
La candidature de Laurent Gbagbo à ce scrutin avait été présentée en Côte d’Ivoire par ses partisans, mais invalidée par le Conseil constitutionnel. Son retour figure parmi les sujets en discussion entre le pouvoir et une partie de l’opposition qui ne reconnaît pas la réélection du président Ouattara.
Celui-ci avait assuré à plusieurs reprises qu’il était favorable à un retour de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire. De source présidentielle, il a été apprécié que Gbagbo n’appelle pas à la « désobéissance civile » comme le reste de l’opposition lors du scrutin présidentiel, et se soit montré défavorable à la participation des cadres de son parti au « Conseil national de transition » proclamé par des opposants, censé remplacer le régime Ouattara.
Ces troubles ont débouché sur l’arrestation de personnalités politiques, dont le porte-parole de l’opposition, l’ancien Premier ministre Pascal Affi N’Guessan et Maurice Guikahué, numéro deux du principal parti d’opposition. « On ne peut pas emprisonner des leaders politiques parce que ceux-ci ont fait valoir leur droit de dire non à un troisième mandat inconstitutionnel », selon le communiqué de Me Touré citant l’ancien président Gbagbo, demandant « la libération de tous les responsables politiques et de la société civile injustement incarcérés ».
Laurent Gbagbo fait toujours face par ailleurs à une condamnation à 20 ans de prison par la justice ivoirienne pour le « braquage » de la Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest lors de la crise de 2010-2011. « Il y aura certainement des discussions à ce sujet » pour son retour, a confié à l’AFP une source proche de la présidence, précisant que seules « une grâce ou une amnistie présidentielle » peuvent lever cette condamnation.
Reste que la Cour pénale internationale doit encore se prononcer sur la demande d’appel déposée par la procureure, Fatou Bensouda. Jusque très récemment, le pouvoir ivoirien affirmait que ce n’est qu’une fois le dossier de Laurent Gbagbo définitivement refermé par la CPI que son retour serait possible.
SOURCE : LEPOINT