Les obstacles d’ordre idéologique à l’institution d’un Etat de droit en République de Guinée furent, durant le premier cycle constitutionnel, de nature exogène. Ils procédaient, au lendemain des indépendances des Etats africains et, spécifiquement de la Guinée, de l’emprunt du marxisme sous la forme du « socialisme africain » et des théories libérales de la modernisation. En général, au lendemain de leur indépendance, les Etats africains furent attirés par la théorie marxiste surtout dans sa version léniniste. Ce marxisme reposait, essentiellement, d’une part, sur le déterminisme économique, d’autre part, sur la prééminence du monolithisme politique.
Suivant cette théorie, l’Etat « est l’instrument de domination au service de la classe au pouvoir. Celle qui a fait et réussi la révolution étant le prolétariat, l’appareil étatique devient l’outil de cette classe majoritaire, seule capable d’édifier le socialisme devant conduire au communisme » . Cette idéologie marxiste servit d’appui au totalitarisme dont l’instrument efficace demeura le parti unique.
En guinée, peut-on lire dans le Préambule de la Constitution du 14 mai 1982, « Le Parti-Etat est la fusion, en une seule entité organique, du Parti et de l’Etat. Le Pouvoir Populaire Révolutionnaire concrétise la phase du Parti-Etat. (…). La classe au pouvoir est le Peuple laborieux qui constitue la classe-Peuple. Le PDG, Parti de la classe-Peuple, dispose pour la réalisation de ses objectifs, d’un instrument technique : l’Etat Populaire et Révolutionnaire » . Cette disposition appelle deux remarques. D’abord, elle illustre l’emprunt de cette idéologie marxiste par les dirigeants de la première République guinéenne. Ensuite, en instituant un Parti-Etat, elle révèle le caractère peu conciliable de cette idéologie monolithique avec l’exigence de pluralisme idéologique inhérente à l’Etat de droit.
Outre cette conception monolithique du pouvoir politique, l’une des entraves à la formation de l’Etat de droit fut l’emprunt des « théories libérales de la modernisation ». Suivant ces théories, « le développement économique favorise l’instauration des régimes démocratiques ou le développement politique, donc l’Etat de droit. Inversement, le retard dans la modernisation des structures économiques et sociales capitalistes conduisent à l’autoritarisme » . Ces thèses développementalistes sont diverses. Pour Rostow, en matière de développement économique, toutes les sociétés passent par les « cinq phases suivantes : la société traditionnelle, les conditions préalables du démarrage ou décollage, le démarrage, le progrès vers la maturité (étape de l’industrialisation soutenue), et l’ère de la consommation de masse » .
Or, selon bien des auteurs, beaucoup d’Etats africains y compris la Guinée, étaient situés, à l’aune de ces théories, au niveau des conditions préalables de démarrage, dans le contexte des années 1960. Ainsi, étant entendu qu’en vertu de ces théories développementalistes, « l’instauration de l’Etat de droit, dépend du niveau de développement » , en générale, cette phase de mise en place des conditions préalables est marquée par un degré peu développé d’Etat de droit. Il ne devrait ainsi pas paraître surprenant que le régime de Sékou Touré opta pour le monopartisme par crainte que l’opposition ne produisit « le fonctionnalisme, la corruption et le séparatisme » . En ce sens, au titre du préambule de la Constitution du 10 novembre 1958, l’Etat de Guinée pour réaliser et consolider l’unité africaine et l’indépendance de l’Afrique « combattra toutes les tendances et toutes manifestations de chauvinisme qu’il considère comme de sérieux obstacles à la réalisation de cet objectif » .
Cette vision de la soumission de la formation de l’Etat de droit au développement préalable de l’Etat est critiquable. Car, d’une part, elle revient à laisser sous-entendre que l’Etat de droit et la démocratie sont « synonymes d’anarchie, de désordre et d’irresponsabilité » . D’autre part, en soutenant la priorité et la primauté de l’économie sur l’Etat de droit, elle érige, dans le même temps, l’autoritarisme, en condition indispensable du développement économique . Or, si l’expérience ne permet pas de nier l’existence, dans l’histoire, d’Etats totalitaires développés, elle ne peut servir de base pour contester la tendance ultra majoritaire du lien concordant existant entre Etats développés et Etats respectueux de la théorie de l’Etat de droit.
Ainsi dit, si les choix politiques opérés au cours du premier ‘‘cycle constitutionnel’’ doivent, pour éviter des critiques excessives, être analysés à l’aune du contexte des années 1960, il serait, de même, abusif de soutenir qu’il n’existait pas d’alternatives mieux respectueuses de l’Etat de droit et donc, de protection des personnes contre l’arbitraire ayant sous-tendu la lutte pour la reconquête de l’indépendance. »
Jean Paul KOTEMBEDOUNO , Attaché temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’Ecole de droit de la SORBONNE, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.