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Friday 22 November 2024

Cacao : Côte d’Ivoire et Ghana défient les multinationales

COMBAT. Pour ne pas financer la prime destinée aux paysans, Mars et Hershey ont « temporairement » changé de fournisseurs, une trahison de leurs engagements. Par Le Point Afrique

La Côte d’Ivoire et le Ghana, les deux premiers producteurs mondiaux de cacao, ont accusé ce lundi, 30 novembre, les multinationales Hershey et Mars de refuser de payer la prime spéciale pour les planteurs négociée l’an dernier et suspendu les programmes de certification de Hershey, dans un courrier et un communiqué. Le Conseil Café Cacao (CCC) de Côte d’Ivoire et le Ghana Cocoa Board (Cocobod), les organes de régulation des filières cacao de ces deux pays ouest-africains qui produisent ensemble les deux tiers du cacao mondial, reprochent à ces grandes compagnies chocolatières américaines d’acheter du cacao ou du beurre de cacao sans payer le différentiel de revenu décent (DRD). Il s’agit d’une prime de 400 dollars par tonne de cacao, en sus du prix du marché, destinée à mieux rémunérer les planteurs de cacao, dont beaucoup vivent dans la misère. Cette prime est appliquée depuis le début de la campagne 2020-2021, c’est-à-dire depuis le 1er octobre 2020.

Les multinationales qui trahissent leurs engagements

L’achat par Hershey d’importantes quantités de cacao sur le marché boursier américain « indique clairement votre intention d’éviter de payer le living differential income » (traduction en anglais du DRD), ont écrit le CCC et le Cocobod dans un courrier commun adressé à cette compagnie. Le CCC et le Cocobod « n’ont en conséquence pas d’autre choix que de suspendre tous les programmes de certification » de Hershey en Côte d’Ivoire et au Ghana.

Les programmes de certification des chocolatiers visent à garantir qu’ils achètent du cacao « durable » respectant des critères de production éthiques (n’entraînant pas de déforestation ou ne recourant pas au travail des enfants notamment). Ils sont un élément de communication et de marketing important en direction des consommateurs occidentaux. « Il est évident que des compagnies comme Mars reviennent discrètement » sur leur promesse de paiement du DRD, affirment le CCC et le Cocobod dans un autre courrier adressé cette fois au Cocoa Merchants Associaton of America (le syndicat des industriels américains du cacao/chocolat), accusant plus précisément dans un communiqué séparé le producteur des célèbres barres chocolatées d’avoir modifié une large partie de ses approvisionnements en beurre de cacao pour éviter de verser la prime aux producteurs.

Alors que ces compagnies s’étaient engagées à payer le DRD négocié en 2019 entre les pays producteurs et les multinationales du cacao et du chocolat, le CCC et le Cocobod dénoncent « une rupture de confiance » et même « un complot » contre ce système mis en place pour mieux rémunérer « trois millions de planteurs ouest-africains ».

L’explication : une conjoncture imprévisible ?

« Il y a eu une demande d’abaisser le premium, qui a apparemment été refusée. Un des géants de la confiserie a décidé de se tourner vers les réserves » propres aux places d’échange comme l’ICE à New York, au lieu d’acheter directement vers les pays producteurs comme les grands industriels le font d’habitude, explique à l’Agence France-presse Judith Ganes, analyste du marché des matières premières. Selon l’agence Bloomberg, qui cite des sources anonymes témoins de la transaction, l’acheteur est Hershey, l’un des plus grands confiseurs américains. « Nous ne commentons pas nos activités d’achats, nous achetons du cacao d’une variété de sources », a réagi Hershey dans un texte envoyé à l’AFP. « Nous payons le DRD » sur la récolte qui débute « et en plus, nous investissons dans l’éducation agricole », précise le groupe. Le numéro un mondial du chocolat, le confiseur américain Mars, affirme également dans un communiqué être « un des premiers acheteurs de la récolte de 2020-2021, sur laquelle nous avons payé le DRD ». Hershey a jugé auprès de l’AFP « regrettable » le « communiqué mensonger » du CCC et du Cocobod, estimant qu’ils « compromettent des programmes essentiels qui bénéficient directement aux planteurs de cacao ».

Changer le rapport de force dans la filière cacaoyère

Le Ghana et la Côte d’Ivoire pèsent deux tiers du cacao mondial, mais contrairement aux pays producteurs de pétrole, ils ne parviennent pas à influencer les prix de « l’or brun », historiquement bas et insuffisants pour faire vivre les petits planteurs africains. « Ils pourraient faire les prix du marché, surtout s’ils s’alliaient avec les autres producteurs importants, comme l’Équateur, le Cameroun et le Nigeria, mais il y a un manque de volonté politique réelle », estime un expert sous couvert d’anonymat. Elle s’est traduite par une augmentation de plus de 20 % du prix payé aux planteurs en Côte d’Ivoire, à 1 000 francs CFA (1,52 euro) le kilo. De plus, pour la première fois depuis des années, les deux pays voisins d’Afrique de l’Ouest ont aligné leurs prix, pour éviter les trafics, qui étaient monnaie courante entre la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial avec plus de 40 % du marché, et le Ghana, deuxième avec plus de 20 %.

Mais sur les deux grands marchés de négoce du cacao, Londres et New York, les prix restent bloqués sous les 3 000 dollars la tonne depuis plus de quatre ans. « Les décisions de la Côte d’Ivoire et du Ghana comptent, mais il y a une légère surproduction de cacao, et la crise du coronavirus ralentit la demande », analyse Jonathan Parkman, du courtier Marex Spectron, pour qui il n’est pas certain que le DRD perdure au-delà de cette saison. De plus, souligne l’expert, le cacao est, comme d’autres produits agricoles, un produit spéculatif, dont les cours sont donc en partie déconnectés de l’économie réelle. Sur les Bourses de Londres et New York s’échange ainsi chaque année l’équivalent de 30 fois la production mondiale.

Historiquement, le prix réel du cacao reste deux fois inférieur à celui des années 1960, et même près de quatre fois inférieur au pic atteint dans le milieu des années 1970 (l’apogée du « miracle » économique ivoirien), selon la Banque mondiale, plombé par une offre excédentaire quasi structurelle. Une aubaine pour les acheteurs, mais une malédiction pour les planteurs des pays tropicaux, qui ne perçoivent que 6 % des 100 milliards de dollars par an que représente le marché mondial du cacao et du chocolat, verrouillé par les grands industriels. Seulement 2 % de ce montant est destiné aux paysans. Publiquement, ceux-ci ont manifesté leur soutien au DRD, alors que les consommateurs réclament un chocolat plus « éthique ». « La coordination de la Côte d’Ivoire et du Ghana est un facteur très positif, ils ont intérêt à développer leur pouvoir d’action sur le marché », estime Patrick Poirrier, PDG du chocolatier français Cémoi et président du Syndicat du chocolat.

Un bras de fer parti pour durer ?

Mais plusieurs obstacles se dressent devant eux s’ils souhaitent, à l’instar de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), peser sur les prix par le contrôle de l’offre. D’abord, la quantité de cacao produite chaque année ne s’adapte pas « au gré d’un robinet qu’on ouvre ou qu’on ferme », rappelle Patrick Poirrier, et « il est difficile de demander à un cacaoculteur, qui s’engage sur vingt ans en plantant un cacaoyer, de produire moins ». Or, depuis vingt ans, la récolte mondiale est excédentaire une année sur deux, une situation favorable aux acheteurs pour obtenir des prix plus bas. Le manque de capacités de stockage du cacao, fragile et périssable, près des lieux de production, ainsi que son coût élevé, gênent le contrôle très tôt dans la chaîne. La construction de deux nouveaux entrepôts d’une capacité totale de 300 000 tonnes dans les ports d’Abidjan et de San Pedro, en Côte d’Ivoire, a néanmoins été annoncée fin septembre. Pour mettre en place une Opep du cacao, « il faudrait que tous les pays producteurs puissent y participer », note aussi Philippe Fontayne, ancien président du Conseil international du cacao. « Or je suis sceptique sur leur capacité à se mettre d’accord sur des règles du jeu. » L’échec de l’Alliance des pays producteurs de cacao (Copal), organisation fondée en 1962 et qui n’a jamais réussi à s’imposer sur le marché mondial, est resté dans les mémoires. Le Conseil Café Cacao, l’organisme public ivoirien qui gère la filière, et son pendant ghanéen le Cocobod n’ont pas répondu aux sollicitations de l’AFP.

SOURCE : LEPOINT

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