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Thursday 12 September 2024

Avant-projet de Constitution: les observations de Me Amadou Diallo

Pour construire un État de droit dans notre pays, il est souvent nécessaire de rappeler à la puissance publique l’obligation de se soumettre à la règle de droit qu’elle a librement élaborée et adoptée. C’est dans cet objectif qu’il m’a paru utile de faire des observations sur la régularité du processus d’élaboration de l’avant-projet de la nouvelle constitution par le Conseil National de Transition (CNT). C’est par commodité de langage que j’utilise l’expression « avant-projet » car en réalité il s’agit bien d’une proposition de loi, l’initiative venant du CNT.

Avant projet de la nouvelle constitution: le plan de Dansa kourouma démasqué

Il convient de rappeler avant tout qu’une constitution est une loi fondamentale qui reconnaît aux citoyens un certain nombre de droits et libertés et qui fixe les règles d’organisation et de fonctionnement d’un État.

Il convient également de rappeler que, si le pouvoir constituant est par définition souverain, il ne peut cependant s’affranchir du droit et faire effectivement et totalement ce qu’il veut, dès lors qu’il est encadré juridiquement, en l’espèce par la Charte de la Transition et le Règlement intérieur du CNT.

Si le pouvoir du CNT est juridique, il est nécessairement encadré par le droit, à savoir le droit national (la Charte en particulier) et le droit international, conventionnel comme non conventionnel. Autrement dit, le CNT doit, dans l’élaboration des textes fondamentaux, respecter la Charte de la Transition et les engagements internationaux de la Guinée, notamment les principes de convergence constitutionnelle communs à tous les États membres de la CEDEAO.

Étant donné que le CNT ne représente pas équitablement les principales forces vives de la Nation et qu’il n’est pas non plus une « Assemblée constituante élue » ou une « Assemblée nationale constituante », il va sans dire que ses membres doivent toujours garder à l’esprit que : « La souveraineté nationale appartient au Peuple qui l’exerce par ses représentants élus ou par voie de référendum. Aucun individu, aucune fraction du peuple ne peut s’en attribuer l’exercice ».

En outre, le constitutionnalisme démocratique moderne auquel notre peuple est attaché implique l’acceptation à la fois juridique et politique de la supériorité de la Constitution sur toute autre norme. Politiquement, le constitutionnalisme signifie que la loi fondamentale est la traduction du pacte social conclu entre toutes les composantes du pays. Parce qu’elle incarne l’adhésion de l’immense majorité du corps social, la Constitution bénéficie d’une légitimité érigée en mythe sacralisé.

En attendant d’examiner de manière approfondie le texte de la proposition de Constitution, il est important de s’interroger sur la régularité du processus initié par le CNT pour l’élaboration de la nouvelle Constitution.

En ce qui concerne la procédure législative proprement dite, le CNT a délibérément violé son Règlement intérieur qui est, de surcroît, une loi organique, ainsi que les bonnes pratiques en la matière.

En effet, depuis son installation, le CNT a mené plusieurs activités dans le cadre de l’élaboration de la nouvelle Constitution qui n’ont rien à voir avec la procédure législative définie par son Règlement intérieur. Parmi ces activités, on peut citer la tournée des Conseillers nationaux à l’intérieur du pays, l’organisation d’un débat d’orientation constitutionnelle avant même la rédaction de l’avant-projet de Constitution, et la méthode peu orthodoxe consistant à inviter les institutions, y compris la Cour suprême, à venir au CNT pour donner leur avis sur un texte qu’elles n’ont pas examiné auparavant.

Depuis quand un juge chargé d’appliquer une loi peut-il être invité à l’hémicycle par le législateur pour participer à son élaboration ?

Cette invitation de la Cour suprême est une violation des dispositions combinées des articles 5 et 47 de la loi organique portant attributions, organisation et fonctionnement de la Cour suprême. En effet, ces articles, qui fixent les attributions consultatives de cette dernière, précisent bien les conditions dans lesquelles la Cour suprême est consultée par le Président de la République sur les projets de textes et par le Président de l’Assemblée nationale (CNT) sur les propositions de lois. Cette consultation est faite préalablement à leur inscription à l’ordre du jour du CNT. Voir ci-dessous les textes de la loi organique violés :

Article 5 : « La Cour suprême donne son avis sur les projets de lois et de décrets et sur les actes réglementaires qui lui sont soumis par le Président de la République ou le Président de l’Assemblée nationale. La Cour est saisie par le Président de la République ou l’Assemblée nationale pour donner son avis, préalablement à leur inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, sur les projets ou propositions de loi qui lui sont soumis ».

Article 47 : « La Cour suprême, réunie en assemblée générale, donne également son avis au Président de la République dans tous les cas où sa consultation est prévue par des dispositions législatives et règlementaires et chaque fois qu’elle est consultée en matière administrative. Saisie par le Président de l’Assemblée nationale, la Cour suprême, réunie en Assemblée générale consultative, donne son avis sur les propositions de loi qui lui sont soumises, avant leur inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ».

Pourquoi inviter le Gouvernement à venir donner un avis (à chaud) sur un texte qu’on lui présente pour la première fois sur un écran (PowerPoint), alors que l’article 41 du Règlement intérieur du CNT prévoit que, lorsque le texte est une proposition de loi, comme c’est le cas en l’espèce, celle-ci est obligatoirement transmise au Président de la Transition, qui a 10 jours pour donner son avis.

Article 41 : « Les propositions de lois sont communiquées immédiatement au Président de la Transition qui doit faire connaître son avis, à leur sujet, dans les dix (10) jours. Les projets et les propositions de lois sont obligatoirement accompagnés d’un exposé des motifs ».

Tout cela traduit une méconnaissance grave des liaisons constitutionnelles qui existent entre les institutions. Les différentes procédures consultatives qui existent entre les institutions ne doivent pas être improvisées lorsqu’elles sont prévues par la loi.  Ni le Gouvernement ni, encore moins, la Cour suprême, ne devaient se rendre au CNT pour donner un avis dans ces circonstances sur une proposition de loi, fût-elle une loi constitutionnelle.

De même, le texte a été présenté en plénière par le rapporteur de la Commission des lois alors qu’il n’avait pas été distribué auparavant aux Conseillers nationaux, comme l’exige l’article 41 du Règlement intérieur du CNT.

Enfin, contrairement au débat d’orientation budgétaire, qui est prévu par l’article 52 du Règlement intérieur du CNT, aucune disposition du Règlement intérieur ne prévoit l’organisation d’un débat d’orientation constitutionnelle. Cette activité, inventée de toutes pièces par le CNT, n’a aucune base légale.

Beaucoup d’observateurs de la vie politique guinéenne s’interrogent : pourquoi le CNT a-t-il pris autant de temps pour ne produire qu’un avant-projet et non la mouture finale du projet de Constitution après toute une série d’activités budgétivores et hors procédure législative et, somme toute, prématurées ? Il va de soi que le secret entretenu autour de l’élaboration de l’avant-projet et la méthode illégale utilisée pour recueillir l’avis des institutions ne peuvent être efficaces, compte tenu du temps imparti aux uns et aux autres pour donner leurs avis.

En tout état de cause, le CNT devrait savoir que l’initiative de la loi (que celle-ci soit ordinaire, organique ou constitutionnelle), son examen et son adoption sont strictement encadrés par la loi, notamment par son Règlement intérieur. De même, le débat national ou la campagne référendaire ne peut se faire et ne devrait être engagé qu’autour d’un projet ou d’une proposition de Constitution obligatoirement publié (e) au Journal Officiel de la République.

Maître Amadou DIALLO, Avocat au Barreau de Guinée

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