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Thursday 21 November 2024

Au Cameroun, la libération du premier opposant ne calme pas la déception après un grand dialogue jugé trop muselé

Le « Grand dialogue national » n’a pas calmé les zones anglophones, ni les voix qui attendent la libération des leaders séparatistes.

Jour de liesse dans la capitale camerounaise. A peine la nouvelle est-elle tombée qu’une foule s’est massée devant le Tribunal militaire de Yaoundé, pour accueillir à grands cris la libération de l’opposant Maurice Kamto. Après neuf mois d’emprisonnement, le président national du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), officiellement 2e à l’élection présidentielle d’octobre 2018 – mais qui revendique la victoire -, et 101 responsables et militants du parti ont retrouvé la liberté samedi 5 octobre.

« Nous sommes mi-figue, mi-raisin car tout le monde n’a pas bénéficié de cette mesure. Des militants restent emprisonnés », déplore Me Sylvain Souop, avocat à la tête du collectif de défense de Maurice Kamto. « Cette libération est une avancée. Mais, je pense qu’il faut pardonner à tous, même à ceux qui ont déjà été condamnés, pour ramener la paix », embraye Félix Agbor, un autre avocat du collectif.

« Promouvoir un climat de paix »

La veille, Paul Biya, 86 ans, président du Cameroun depuis 37 ans, avait annoncé « l’arrêt des poursuites judiciaires » contre ces personnes arrêtées pour avoir participé à des marches de protestation contre ce qu’elles estimaient être un « hold-up » électoral. Elles risquaient la peine de mort.

Le président camerounais a justifié son geste par « sa volonté de promouvoir un climat de paix, de fraternité et de concorde » entre les Camerounais. Cette décision intervient surtout quelques heures après la fin du « grand dialogue national » qui s’est tenu du 30 septembre au 4 octobre avec pour ambition de mettre fin au conflit séparatiste en cours dans le Nord-ouest et le Sud-ouest ; les deux régions anglophones du pays. Une guerre qui a déjà causé la mort de plus de 2 000 personnes, forcé plus de 500 000 autres à prendre la fuite et contraint plus de 600 000 enfants à abandonner l’école.

Le Mouvement pour la renaissance du Cameroun a boycotté l’événement faute d’une libération de ses leaders, militants et sympathisants ainsi que toutes les personnes arrêtées et encore détenues dans le cadre de cette crise débutée en 2016. Il demandait aussi une amnistie pour les leaders séparatistes dont Sisiku Ayuk Tabe, président de l’Etat autoproclamé d’« Ambazonie », condamné en août dernier à la prison à vie. Il proposait aussi le choix d’une personnalité neutre pour diriger le dialogue. Le gouvernement camerounais, qui a longtemps nié l’existence d’un quelconque problème anglophone, a balayé ces exigences préalables, préférant le boycott du MRC.

« Au fond, pourquoi a-t-on arrêté Maurice Kamto ? Pourquoi ne l’a-t-on pas libéré avant le dialogue ? Si on l’a fait aujourd’hui, cela veut dire qu’on aurait pu le faire avant. Plus tard, ce sera peut-être le tour de Sisiku Ayuk. Pourquoi perdre tant de temps quand des innocents meurent chaque jour et quand la paix est de plus en plus menacée dans notre pays ? », s’interroge agacé, un membre du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir), originaire de la zone anglophone, qui a souhaité garder l’anonymat.

Comme les autres délégués présents au dialogue et interrogés par Le Monde Afrique, il est très critique sur son déroulement. Au-delà de l’absence des leaders séparatistes exilés qui n’ont pas fait le déplacement, il dénonce des discussions « orientées », un choix unilatéral par le gouvernement des thèmes et des responsables des huit commissions.

« Une mise en scène »

« Le gouvernement a voulu trop encadrer ce dialogue et cela a provoqué des frustrations. C’est un peu une mise en scène », se désole Dr Ernest Folefack qui faisait partie de la commission du système éducatif. Même si ce professeur de droit de l’université de Dschang dans l’ouest du pays se félicite que la « parole soit restée libre pour beaucoup », il s’insurge contre la « trop grande présence de fonctionnaires du système ».

Une situation qui a poussé certains leaders de l’opposition à claquer la porte, dénonçant une « parole unique », « un monologue ». D’après eux, les conclusions étaient connues d’avance. « Je pensais participer à un dialogue, confie Akere Muna, ancien candidat à l’élection présidentielle de 2018. Avant même d’y aller, on m’a dit que ceux qui allaient intervenir étaient déjà identifiés. Après, on a apporté une liste des membres des commissions, et je me suis dit que ce n’était pas un dialogue mais un spectacle dont je suis spectateur. Je suis parti ». Pour Alice Sadio, présidente de l’Alliance des forces progressistes (AFP), « ce qui nous a été offert en lieu et place du dialogue national ressemble davantage à une méga réunion à forte coloration RDPC saupoudrée de quelques figures de l’opposition pour faire du politiquement correct ».

Ceux qui sont restés, eux, ont surtout misé sur la commission « décentralisation et développement local » où ils espéraient débattre de la forme de l’Etat et aboutir à un consensus. Dans les zones anglophones, une grande majorité de la population rêve d’un retour au fédéralisme alors que les séparatistes penchent pour la sécession.

Les discussions ont été houleuses et les délégués pro fédéralisme ont même temporairement déserté la salle, las des « directives » du parti au pouvoir. En vain. Après quatre jours de débats, la résolution phare a été l’octroi d’un « statut spécial » pour ces deux régions anglophones. Si les contours restent encore flous, des voix s’élèvent déjà pour dénoncer une décentralisation « bis » garantie par la constitution de 1996 et jamais entièrement appliquée.

« Cela garantira plus d’autonomie pour ces régions. C’est une avancée, veut pourtant croire Elie Smith, porte-parole de la Conférence générale anglophone, qui a participé aux débats. Je pense qu’on doit y aller graduellement », estime-t-il. Une analyse que partage Félix Agbor Balla, avocat et pro fédéraliste, qui veut croire que cette partie du pays finira par devenir « entièrement autonome ».

Plus d’autonomie pour ces régions

La tenue de ce grand dialogue national n’a pas fait cesser les violences dans les deux régions anglophones où kidnappings et combats se sont poursuivis. Le 1er octobre, les séparatistes ont même hissé leurs drapeaux dans plusieurs localités car dans l’histoire du pays cette date reste centrale. La naissance de la République fédérale du Cameroun, suite à la réunification du Southern Cameroon et du Cameroun français a en effet eu lieu un 1er octobre. C’était en 1961.

Pour calmer le jeu, le président Paul Biya a annoncé au troisième jour du dialogue, la levée des poursuites contre 333 anglophones arrêtés dans le cadre de la crise. Mesure estimée insuffisante par les leaders séparatistes qui se sont confiés à l’agence Reuters. Ces derniers demandaient la libération de leurs leaders et de tous les autres prisonniers anglophones, la tenue d’un dialogue hors du Cameroun, dirigé par un médiateur neutre.

« Sur le terrain, la guerre empire. Le président Biya ne dispose pas de beaucoup de temps pour convaincre ses citoyens anglophones de se désolidariser de l’aventure séparatiste. Pour commencer, il lui faut rencontrer les véritables acteurs anglophones que sont les séparatistes. Il y a des leaders emprisonnés et ceux de la diaspora », précise Arrey Ntui, analyste pour le Cameroun à International Crisis Group (ICG). Reste à voir si la libération de Maurice Kamto sera le seul geste d’ouverture du moment, ou si les séparatistes recouvreront à leur tour la liberté.

SOURCE : LEMONDE

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