Camarade,
L’année 2019 s’en va, cette nuit, se ranger dans les tiroirs et bahuts de l’histoire. Va-t-elle s’éteindre avec les souffrances du pays que vous avez réchauffé de pleurs et d’espoirs ? La nouvelle qui éclora, pareille à la robe d’une mariée au cœur insidieux, aurait-elle la décence de nous couvrir enfin de bonheur ? Quels vœux formuler dans cette cheminée convulsive du temps ? Quelles suppliques qui n’aient jamais été élevées ? Que de jérémiades n’a-t-il pas plu de bas en haut ? Plaintes de gens auxquels le ciel semble se séparer depuis le premier jour.
Camarade, l’héritage de votre idéologie et de ses mesures ne nous a nullement fait avancer d’un iota. Plutôt, permettez-moi de vous renseigner, il fut balayé par un vent violent introduisant un autre système aux antipodes du vôtre. Ce qui créa, cher Camarade, une véritable contorsion manichéenne.
Le comprenez-vous ? Votre pays passa du chaud au froid sans transition aucune.
Telle est la silhouette trop sinueuse du peuple au nom duquel vous avez tonné « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage. » Cette sentence d’un autre millénaire n’est plus que d’actualité aujourd’hui. Tant de saisons se sont succédé aussi raides et caverneuses, aux épisodes quelquefois épiques mais très souvent gris. Les hommes aussi, le pouvoir ne faisant que changer de main. Tandis que la liberté ne fut effective, la pauvreté, elle, s’est bornée à demeurer concrète. Depuis, nulle ruine, aucun détritus n’est tombé de nos tourments. Un pauvre est-il vraiment libre ? Est-il réellement digne ?
Ma grand-mère, Mâa Widö, m’est témoin si je vous incrimine. Elle qui, jusqu’à la tombe, a attendu ton retour d’entre les morts comme l’aube renaît toujours après la nuit. Pionnière depuis son adolescence, plusieurs fois, elle a dansé devant ton cortège, agité son mouchoir blanc au passage de ta délégation, défilé et chanté les merveilles du Syli dans une sincérité immaculée. Elle n’avait, d’ailleurs, jamais admis, que vous soyez parti pour de bon. Elle me disait toujours que vous reviendriez, beaucoup plus fort, et que je prendrais sa place de pionnière. Toute mon enfance durant, elle m’a appris les slogans du parti, les louanges du Syli, et les attitudes qui siéent avec. Elle m’a forcé à vous aimer, elle que j’aimais par-dessus tout. Le temps est passé et Mâa Widö s’en est allée de l’autre côté du rive, vous n’êtes toujours pas revenu comme l’aube après la nuit, et j’ai grandi…
Camarade, avec vous le pays a dormi. Reconnaissons-le, c’est une grandeur. Malgré de louables efforts, nous avons quelque peu dormi. La vitesse fut au-dessous de la moyenne. Comme avec lui, nous dormons aussi et bien encore. Ô Guinée ! Pays de dormeurs et d’oisifs redoutables, « mon vieux, pays-là…»
Je ne pourrais jamais vous blâmer (que j’en sois gardé). Je ne pourrais non plus lier les doigts par rapport à ce qui n’est pas convenu. Je sais que vous fûtes héros pour les uns et tyran pour les autres. Comme moi, chacun est libre de jugement. Mais je ne sais, pour ma part, lequel vous fûtes vraiment. Ce que je sais c’est que vos mérites et leurs revers ne s’éteindront qu’avec le temps. Voilà qui est plus sûr.
Camarade, un temps s’en va bientôt, un autre l’attend. Mais votre pays, l’énorme château d’eau, baigne encore et toujours dans un désert aussi sépulcral que ténébreux. Quel contraste ! Sans eau ni électricité, la pauvreté grognant de succès au pays continent, véritable scandale géologique. Si rien ne fut fait jadis, maintenant tout se défait. Vois combien c’est désastreux pour une nation aux destinées incarcérées dans un passé inculte et un présent trop incongru.
Camarade, depuis peu, il nous parle de référendum, de constitution, d’un bonheur qui ne soufflerait nulle part ailleurs, d’une Guinée comme jamais vécue…mais le peuple qui n’est plus dupe ne veut pas de ce projet. Alors, dites-lui, Camarade, que les temps ont changé, clamez lui que la Nation n’a plus besoin d’une quelconque expiation. Tout a été payé, sacrifié pour le bonheur de ce peuple.
Criez lui fort, d’avoir la vertu de la considération de ce peuple qui le nourrit, le vêtit et le gîte, qu’il renonce à ce plan. Il a l’armée et les armes. Mais le peuple est bien beaucoup plus fort et rien n’est plus souverain qu’un peuple dans un Etat. Qu’il admette en tout état de cause que le changement est inéluctable et même imminent. Ces hommes et femmes soumis depuis le premier jour sont aujourd’hui remplis de zèle. Quoiqu’il arrive, ils auront leur ciel radieux qu’ils cherchent depuis toujours. Plus rien ne pourra les arrêter, excepté sa défaite. Pourquoi s’engager dans une bataille que l’on sait perdue d’avance ? Quoiqu’il en soit, il perdra en quelle que manière quelque chose. Pour lui, mieux vaudrait de comprendre maintenant ceux qui l’ont toujours compris sans chercher à savoir.
Camarade, te l’avais-je dit, l’an 2019 agonise maintenant. L’écho du nouveau me reste insondable. Dantesque ou radieux ? Aucune idée. Mais le temps qui se défait et se refait nous renseignera là-dessus.
Si vous eussiez eu à refaire votre vie, à présider de nouveau aux destinées de ce pays, Camarade, ma plume, que l’autre répugne tant, vous eût servi.
Tout en vous souhaitant de reposer en paix, recevez mes vœux les meilleurs pour l’année 2020, Camarade !
Quelque part sur cette terre de désarroi,
Edouard D. Kolié Écrivain