Après vingt quatre mois de tourmente, d’apprentissage, du surplace, d’imposture et de mégalomanie, le CNRD fait, désormais, face à l’épreuve de l’exercice du pouvoir et à la dure réalité du commandement. Du 5 septembre 2021 à aujourd’hui, les fruits n’ont jamais respecté la promesse des fleurs. Le Moïse du 5 septembre était venu avec un masque de fer, trompant ainsi, notre vigilance et qui s’est servi outrageusement de notre soif de liberté et de démocratie pour nous vendre du faux, du vent et du pipeau. Le Colonel Doumbouya, puisqu’il s’agit de lui, a trompé le peuple et a trahi son serment.
On peut citer un extrait de son premier discours :« L’instrumentalisation des institutions républicaines, de la justice, le piétinement des droits des citoyens, l’irrespect des principes démocratiques, la politisation à outrance de l’administration publique, la gabegie financière, la pauvreté et la corruption endémique ont amené l’armée guinéenne, à travers le Comité national du rassemblement et du développement (CNRD), à prendre ses responsabilités.» Ce constat, était partagé par la totalité de la population de notre pays, mais malheureusement, plutôt que prévu, cet espoir a viré au cauchemar par l’amplification des erreurs et pratiques du passé comme entre autres : le népotisme, le favoritisme, le clanisme, l’enrichissement illicite, l’instrumentalisation des institutions républicaines, de la justice, le piétinement des droits des citoyens, l’irrespect des principes démocratiques, la politisation à outrance de l’administration publique, la gabegie financière, la pauvreté.
D’ailleurs, comment comprendre que des dirigeants qui tiennent à se faire passer pour les parangons de la vertu et des hercules de la bonne gouvernance, refusent de se soumettre à une des règles les plus élémentaires de bon exemple démocratique: la déclaration de patrimoine ?
Paradoxe! Comment admettre que depuis le déclenchement des procédures devant la CRIEF, seuls des civils sont interpellés et pas un seul homme en uniforme ? Les hommes en uniforme seraient-ils bénéficiaires d’une sorte d’impunité ? Voilà autant de questions qui enlèvent toute crédibilité à la prétendue moralisation de la gestion dont se gargarise la junte militaire. Contrairement à une idée que certains thuriféraires du pouvoir kaki veulent inculquer aux citoyens, les militaires au pouvoir ne sont ni plus patriotes, ni plus vertueux que le reste de la société. Alors eux, militaires, ont été la branche armée de toutes dictatures. Ce n’est pas par un coup d’État ensanglanté qu’on peut se refaire une virginité morale !
De nos jours on constate, au vu de tous, les constructions et achats de biens par le chef de la junte, du ministre Secrétaire Général de la Présidence, du Haut Commandant de la Gendarmerie nationale, du Directeur de Cabinet de la Présidence, les proches et la famille de Mamadi Doumbouya à Conakry et en provinces, en France, en Côte d’Ivoire et au Mali. Le clan se beurre en attendant la vapeur qui va dégraisser ces rats de nos finances.
Dans la fumeuse refondation, les trafiquants de drogue, des bandits à cols blancs sont parvenus à se recycler en se glissant dans les hautes sphères de l’administration publique. Le pays risque de devenir Narcoland.
Mais malheur à ceux croiront que le destin de ce pays est d’être et de demeurer à la merci de copains et coquins qui le sucent comme une orange et qui expliquent cette anomalie par des bénédictions qu’ils auraient reçues de leurs parents.
Dans une autre société, de tels individus auraient tout simplement couvert les leurs de honte et d’opprobre à cause de la place qui leur est faite par les lois de la République. Et contrairement à l’idée qu’ils se font, aucun honnête homme ne peut éprouver la moindre jalousie ou envie vis-à-vis d’un délinquant, d’un homme dont le niveau de moralité est égal à zéro.
A bien y réfléchir, l’on est amené à se poser l’inévitable question de savoir si la société guinéenne n’est pas un terreau fertile pour l’émergence et la promotion d’individus de petites vertus et qui, par péché suprême, parviennent à se hisser au sommet de l’État pour gérer des affaires publique.
Les voleurs, les escrocs de la République qui font main basse sur ce qui appartient à tous et s’emploient, en usant du fruit de leur sale besogne, à « s’acheter » une image, se forger une légende et une réputation surfaites. Dans une société qui défend des valeurs et honore les individus sans scrupules, certains seraient déjà dans les poubelles de l’Histoire.
La rectification institutionnelle a accouché d’une souris et la Guinée est assurément un pays singulier à tout point de vue ; un pays de tous les paradoxes mais aussi le pays de l’inversion de toutes les valeurs ; un pays où des voyous sont portés au devant.
En effet, le chef de la junte militaire qui parle de moralisation de la gestion publique mais aucun membre du CNRD, du gouvernement et des régies financières notamment n’a fait une déclaration de son patrimoine. Comment croire des lors à une volonté sincère de combattre les infractions économiques et financières et non à un simple règlement de comptes ou une tentative de mise à l’écart de certains acteurs politiques, lorsque la plus élémentaire des mesures de transparence est violée.
La corruption ronge notre pays, elle entrave l’action de l’État, grève ses budgets. Elle est à la source de la profonde crise de légitimité dont souffrent toutes nos institutions publiques et notre personnel politique. Tenez-vous bien, la Guinée est toujours parmi les mauvais élèves et reste classée parmi les pays les plus corrompus en Afrique de l’Ouest.
La justice doit être rassurante quant à son indépendance, son impartialité et sa neutralité. Mais une justice aux ordres n’est pas faite pour rendre des décisions de justice mais pour rendre service au pouvoir, pour réduire les citoyens au silence.
Dans l’histoire récente de la Guinée, la Justice a toujours été du côté des oppresseurs. Au lendemain des indépendances, chacun savait à quoi s’en tenir puisque politique et justice se confondaient. Le principe de la séparation des pouvoirs et l’indépendance des juges étaient quasiment inexistants. À la faveur du changement de régime en 1984, la Guinée a opté pour la démocratie, l’État de droit et les libertés individuelles, la séparation des pouvoirs et l’indépendance de la justice.
Mais fort malheureusement, la justice n’a jamais su se montrer à la hauteur des attentes des citoyens. L’une des pages les plus sombres de ces vingt dernières années sur le plan judiciaire reste incontestablement les procès et arrestations des acteurs de la société civile et des partis politiques de 2019 à 2023 que tout monde, y compris la communauté internationale a qualifié de comédie judiciaire ou de parodie de justice. En 2013, les états généraux de la justice ont été organisés au Palais du Peuple à l’initiative du Pr. Alpha Condé, devenu entre-temps président de la République, un exercice similaire répété par le putschiste Mamadi Doumbouya dès sa prise de pouvoir.
Au lendemain de ces états généraux et surtout au regard des recommandations qui avaient été présentées au premier magistrat du pays, on pouvait espérer que la justice ferait sa mue. Mais, plus de vingt quatre mois, la justice continue à être une déception pour bon nombre de citoyens, au point qu’on peut se demander aujourd’hui si elle est réformable. Elle est toujours minée par les mauvaises pratiques qui ont tendance à devenir une gangrène. Pourtant, les magistrats sont à l’heure actuelle les « agents de l’État » les mieux payés. Mais la justice n’arrive toujours pas à satisfaire les justiciables. Pire, elle est devenue le deuxième pied de la dictature, l’autre étant les forces de défense et de sécurité.
Comme l’a dit le doyen Thierno Monénembo, je cite « L’intellectuel guinéen a un gros problème : son ventre est dix fois plus curieux que sa tête. Préoccupé de belles maisons et de bonne bouffe, de bolides et de blazers, englué jusqu’au cou dans le plus sordide des quotidiens, notre bonhomme a définitivement déserté le champ historique et culturel. Ce qui laisse la porte grandement ouverte aux crétins et aux fripouilles. Est-ce bien malin que de se faire guider par plus petit, plus vil et plus ignorant que soi ? ».
Les magistrats ne devraient pourtant pas perdre de vue que si Mamadi Doumbouya a eu des mots durs à l’endroit de la justice quand il est arrivé au pouvoir, un autre ferait la même chose un jour. Des magistrats ont contribué volontairement ou involontairement à tuer le rêve démocratique des Guinéens. Mais ils seront eux-mêmes jugés un jour par le Tribunal de l’Histoire.
Disons nous la vérité, l’impasse est, en quelque sorte, voulue ! Harcèlements judiciaires, arrestations arbitraires, refus d’exécuter les ordonnances de mise en liberté conditionnelle, interdiction de sortir du territoire, gel des avoirs en banque, passeports confisqués. La Guinée ce vaste bordel où les larbins et courtisans de chaque régime s’en servent à volontiers et sans scrupule. C’est plutôt la recherche d’intérêt personnel inavoué par les tenants du pouvoir qui nous a amené là où nous sommes.
Certains estiment qu’ils détiennent même le titre foncier de la Guinée et qu’ils sont les seuls patriotes, vertueux et censés parler au nom du peuple sans aucune légitimité, légalité et accord de principe. Comment voulez-vous qu’on refonde un pays où règne cette mentalité là? Où est donc le patriotisme que chacun clame haut et fort tous les jours ?
Ce ne sont ni les chinois, ni les russes, encore moins les français qui viendront sauver ce pays si nous mêmes, nous nous érigeons auteurs des actes qui poussent notre pays petit à petit dans l’abîme. Nous devenons la Guinée des extrêmes, et cela dans tous les domaines, religion, anti religion, politique, même en patriotisme on en fait trop, pour dire vrai.
Ne nous laissons pas gagner par la passion ou la folie du pouvoir, elle nous enlève une grande partie de notre force, celle même de notre pays et nous livre désarmés à la réalité de notre paupérisation.
Sékou KOUNDOUNO
Responsable des strategies et Planification du FNDC